Bénin. Les nouveaux projets touristiques éblouissants ne peuvent cacher le spectre des expulsions forcées.

Les expulsions forcées liées à des projets visant à développer le tourisme sur le littoral béninois et, selon les autorités, à améliorer le cadre de vie dans le pays se sont déroulées en violation flagrante de la législation nationale et du droit international relatif aux droits humains. Amnesty International aboutit à ce constat dans un nouveau rapport présentant en détail les conséquences dévastatrices qu’ont eues ces expulsions sur la vie de milliers de personnes au Bénin depuis 2021.

Intitulé « Chassés pour planter des cocotiers ». Expulsions forcées pour le tourisme et l’aménagement du littoral au Bénin, ce document issu de recherches menées sur place entre janvier et février 2023 révèle les conditions des expulsions réalisées dans le cadre de quatre projets de développement et d’aménagement. Il met en lumière de multiples violations du droit à un logement convenable, notamment un manque de consultation en bonne et due forme, l’absence de préavis suffisant et raisonnable donné aux habitant·e·s, des expulsions menées de façon inacceptable, l’insuffisance ou l’absence d’indemnisation, et les obstacles rencontrés par les personnes concernées pour déposer des recours administratifs et juridictionnels. Amnesty International s’est entretenue avec plus de 100 victimes d’expulsions forcées ainsi qu’avec des élus locaux, des représentants de la mairie de Cotonou, de l’Agence nationale du domaine et du foncier (ANDF) et de la Commission béninoise des droits de l’homme (CBDH), et des journalistes.

En réponse à ses lettres offrant un droit de réponse, Amnesty International a reçu des courriers du ministère de l’Économie et des Finances, de l’ANDF et du Club Med. Les éléments apportés sont intégrés au rapport.

« Les droits des habitants et habitantes ne doivent pas être négligés au nom du développement socioéconomique. Les expulsions forcées massives menacent gravement les droits fondamentaux des personnes concernées dans plusieurs localités du Bénin. Ces actions ont des effets dévastateurs sur la vie des personnes expulsées, qui sont privées de leur logement, de leurs moyens de subsistance et de leurs liens sociaux, a déclaré Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International.

« Les autorités béninoises doivent sans délai prendre les mesures nécessaires pour que les droits des personnes concernées par les expulsions forcées dont ce rapport fait état et ceux des autres personnes qui pourraient être concernées à l’avenir par des projets similaires soient respectés et protégés, et que les violations commises donnent lieu à des réparations. »

Des expulsions forcées massives touchant des milliers de personnes

Les quatre projets présentés dans ce rapport ont abouti à des expulsions forcées massives et des démolitions d’habitations sans préavis suffisant, sans indemnisation équitable et préalable et, dans de nombreux cas, sans solution de relogement. L’Agence béninoise pour l’environnement (ABE) n’a pas transmis à Amnesty International de Plans d’action de réinstallation (PAR), malgré deux demandes en ce sens et le décret 2017-332, qui oblige l’administration à la transparence. En l’absence de PAR consultable, les informations concernant le nombre exact de personnes expulsées et les démarches entreprises pour se conformer au droit national et international sont parcellaires. En revanche, celles issues des témoignages directs recueillis par Amnesty International mettent en évidence de graves violations des droits des personnes concernées.

Un homme âgé de plus de 70 ans qui a été expulsé de Djègbadji, un arrondissement de la commune de Ouidah, avec sept membres de sa famille a déclaré à Amnesty International : « Je leur ai dit qu’on n’avait nulle part où aller. Mais ils nous ont dit qu’il fallait quand même partir. »

Ces expulsions, qui se sont déroulées dans quatre localités du Bénin, concernent au moins 6 000 personnes. À Djègbadji, 234 personnes ont été déplacées pour le projet de construction d’une « Marina » à proximité de la Porte du non-retour, le monument qui commémore la déportation d’esclaves outre-Atlantique. Au moins 10 d’entre elles n’ont pas été avisées en bonne et due forme au préalable et ont affirmé que leur indemnisation était insuffisante. 

Une femme a indiqué à Amnesty International avoir touché 1,2 million de francs CFA (environ 1 840 euros) de la part des autorités pour la perte de son logement. Elle a déclaré : « Je ne peux pas appeler ça un dédommagement. Ça ne suffit même pas pour acheter une parcelle, qui coûte dans les cinq millions de francs CFA (environ 7 620 euros) actuellement. »

Dans le village d’Avlékété, où les travaux liés au projet de développement d’une station balnéaire ont débuté, les expulsions de pêcheurs et les procédures d’expropriation de propriétaires fonciers ont entraîné une confusion et des accusations de recensements incomplets et d’indemnisations inéquitables. Ainsi, plusieurs femmes issues de ménages polygames ont déclaré avoir construit des habitations séparées de celles de leurs maris, mais ne pas avoir été comptabilisées parmi les personnes à indemniser car elles étaient rattachées à leurs foyers conjugaux.

À Cotonou, pour la réalisation d’un projet de plantation de cocotiers, plus de 3 000 habitant·e·s ont été expulsés du quartier de Fiyégnon 1 sans être indemnisés et des biens ont été détruits sans préavis suffisant.

La destruction du quartier de Xwlacodji, l’un des plus anciens de Cotonou, pour permettre la construction d’un centre administratif et commercial en 2021 a touché au moins un millier de personnes, qui n’ont pas été consultées en bonne et due forme. Des membres du « collectif des sinistrés du relogement de Xwlacodji » ont déploré les expulsions et affirmé : « [L]a population n’a jamais été associée aux opérations de déguerpissement. Normalement, les autorités auraient dû appeler la population et lui expliquer le mode opératoire. Mais rien n’a été fait en ce sens. »

À Djègbadji, les personnes interrogées par Amnesty International ont confié ne pas avoir été réellement consultées ni informées au préalable. Firmin Zounyekpe Kouassi, qui habitait avec sa famille à Djègbadji mais loge maintenant chez son frère à Ouidah, a déclaré : « Je n’ai pas vu de document officiel concernant l’expulsion. Les autorités locales sont seulement venues dire oralement aux habitants qu’il fallait partir. »

Dans certains quartiers, comme à Fiyégnon 1, les expulsions se sont déroulées d’une manière qui n’est pas acceptable.

« À 2 h du matin, mon grand frère m’a appelé pour m’informer que le préfet était sur place. Nous sommes allés à sa rencontre et il nous a dit qu’il avait reçu des appels pour nous faire déguerpir, que nous devions faire nos bagages car on allait venir nous raser. Les gens couraient partout pour ramasser leurs affaires. Quand la pluie a commencé, nous avons pensé qu’ils allaient nous laisser pour arranger les choses […]. Ce jour-là on s’est demandé si nous étions des Béninois. Tout a été détruit. Je n’ai même pas enlevé mes tuiles. Si tu te mettais en travers de la route des bulldozers, tu allais être écrasé », a déclaré Théophile Kakpo, victime d’expulsion forcée à Fiyégnon 1.

Par ailleurs, en violation du droit international, qui dispose qu’« [il] ne faudrait pas que, suite à une expulsion, une personne se retrouve sans toit ou puisse être victime d’une violation d’autres droits de l’homme », l’impact de ces expulsions forcées sur les droits économiques, sociaux et culturels est très fort et dure longtemps. Amnesty International a constaté que, tant pour les personnes réinstallées sur des sites mis à disposition par les autorités que pour celles qui se sont relogées par leurs propres moyens, les conditions de vie et de travail se sont nettement dégradées, les liens sociaux se sont distendus et des repères culturels ont été perdus.

Un appel au respect des obligations juridiques

Amnesty International appelle les autorités béninoises à mettre en place des mécanismes de résolution des griefs pour les victimes d’expulsions forcées, à garantir une indemnisation juste et équitable et à respecter ses obligations découlant du droit national et international relatif aux droits humains lors des expulsions de personnes. La protection des droits économiques, sociaux et culturels des populations concernées doit être une priorité absolue pour le gouvernement.

« Il est impératif que le gouvernement béninois prenne immédiatement des mesures pour remédier à ces violations des droits humains, en veillant à ce que les personnes expulsées soient indemnisées comme il se doit, que les projets de développement et d’aménagement respectent les normes nationales et internationales et que des préavis suffisants, des consultations et d’autres garanties soient assurés pour les habitants et habitantes avant toute expulsion », a déclaré Samira Daoud.

Complément d’information

Depuis l’élection du président Patrice Talon en 2016, le gouvernement béninois a fait du tourisme l’une des priorités du développement du pays. Le programme d’actions du gouvernement, intitulé « Bénin révélé », ambitionne notamment de favoriser le tourisme balnéaire et mémoriel. Pour atteindre cet objectif, de nombreuses personnes habitant dans des quartiers et des villages situés le long du littoral ont été contraintes de s’installer ailleurs pour laisser place à des projets immobiliers touristiques, des plages aménagées et des parcours culturels ou mémoriels.

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