En Mauritanie, les défenseurs des droits humains qui dénoncent la pratique de l’esclavage et les discriminations sont arrêtés et torturés. Reportage.
Les autorités mauritaniennes ont aboli l’esclavage il y a près de 40 ans. Pourtant elles continuent de tolérer cette pratique, pire, elles répriment les personnes qui la dénoncent.
43 000 ESCLAVES EN 2016
D’après les estimations d’organisations internationales antiesclavagistes, jusqu’à 43 000 personnes étaient réduites en esclavage en Mauritanie en 2016, soit environ 1 % de la population totale.
La police, les procureurs et l’appareil judiciaire ne répondent pas de façon appropriée aux cas d’exploitation signalés, qu’il s’agisse d’identifier les victimes ou de punir les responsables présumés.
En 2016, seulement deux personnes ont été condamnées par les tribunaux du pays compétents pour connaître des affaires d’esclavage, alors que ces juridictions avaient été saisies de 47 dossiers, dans lesquels 53 suspects étaient impliqués.
Les pratiques discriminatoires touchent particulièrement les membres des communautés haratine et afro-mauritanienne.
Ceux-ci sont absents de pratiquement toutes les positions de pouvoir et rencontrent des difficultés pour se faire enregistrer sur les registres de l’état civil, ce qui limite notamment leur accès à des services essentiels, comme la santé ou l’éducation.
LES MILITANTS ANTI-ESCLAVAGISTES PERSÉCUTÉS
Plutôt que de lutter contre l’esclavage, le gouvernement préfère s’attaquer à ceux qui se mobilisent contre l’esclavage.
Depuis 2014, Nous avons recueilli des informations sur 168 cas de défenseurs des droits humains arrêtés arbitrairement, dont 17 au moins ont été torturés et soumis à d’autres mauvais traitements.
Au cours de cette période, les autorités ont arrêté 23 membres du Mouvement du 25 Février, qui regroupe des jeunes en faveur de la démocratie, et 63 membres de l’IRA.
Parmi ces derniers, au moins 15 ont été condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès iniques ; certains ont subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements visant à leur soutirer des « aveux ».
Ils m’ont attaché les mains et bandé les yeux. Je ne voyais pas où ils m’emmenaient. Quand nous sommes arrivés, un officier a dit : “Bienvenue à Guantánamo.’’ […] Avant l’interrogatoire, un garde m’a dit : “Dis-leur ce qu’ils veulent entendre. Tu sais que nous avons les moyens de te faire parler.’’ »
Amadou Tijane Diop, militant antiesclavagiste arrêté en 2016
Le droit de manifester est également visé par la répression en Mauritanie, où 20 groupes de défense des droits humains nous ont informé que les autorités avaient interdit ou dispersé leurs rassemblements pacifiques ces dernières années.
Les associations rencontrent aussi de graves difficultés pour être enregistrées officiellement.
Ne pas être une association autorisée, c’est avoir une menace qui plane au-dessus de nos têtes en permanence. Nous continuons les activités, mais nous savons qu’à tout moment les autorités peuvent venir suspendre nos associations et nous jeter en prison.
Yacoub Ahmed Lemrabet, président de l’association de « jeunes pour la démocratie Kavana »
Et même lorsque les associations sont officiellement reconnues, elles font l’objet d’une surveillance constante. Ainsi, les associations doivent notifier toute réunion, y compris privée, et un délégué des autorités peut imposer sa présence,
EN CHIFFRES
17 : le nombre de défenseurs des droits humains torturés ou maltraités depuis 2014
20 : le nombre d’associations dont les rassemblements pacifiques ont été interdits puis dispersés par la force
43 : le nombre d’associations de droits humains qui n’ont jamais été autorisées par l’État à exercer leurs activités
63 : le nombre d’arrestations des militants antiesclavagistes membres de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA)
DES CAMPAGNES DE DÉNIGREMENT GÉNÉRALISÉES CONTRE LES DÉFENSEURS
Des campagnes de dénigrement, des agressions et des menaces de mort sont perpétrées en toute impunité contre les défenseurs des droits humains, qui sont souvent qualifiés de traîtres, de criminels, d’agents de l’étranger ou de racistes, voire accusés d’apostasie ou de manœuvres politiciennes.
Il arrive que ces actes d’intimidation soient commis aux plus hauts niveaux de l’État et par des groupes religieux, parfois même lors de rencontres internationales en Europe.
Par exemple, la défenseure des droits humains Mekfoula Brahim est visée par une intense campagne coordonnée de dénigrement sur les réseaux sociaux et reçoit des menaces de mort depuis qu’elle a réclamé l’annulation de la condamnation à mort du blogueur Mohamed Mkhaïtir pour apostasie.
Si vous exprimez votre soutien à Mkhaïtir, les gens commencent à vous traiter d’apostat et vous accusent de promouvoir des valeurs occidentales. S’en suivent des menaces de mort. Vous avez l’impression que n’importe qui pourrait vous tuer dans la rue et que tout le monde s’en moquerait ».
Mekfoula Brahim, défenseure des droits humains
LA MAURITANIE, À L’HEURE DES ÉLECTIONS
Les autorités mauritaniennes doivent montrer que toutes les voix dissidentes sont respectées, en libérant toutes les personnes arrêtées uniquement pour avoir dénoncé la discrimination, et en reconnaissant le travail des défenseurs des droits humains.
À l’approche de l’élection présidentielle de 2019, le risque de troubles sociaux est élevé si toutes les voix – même les plus critiques – ne sont pas respectées. Les autorités doivent cesser cette attaque contre les défenseurs des droits humains et prendre des mesures concrètes et efficaces pour mettre fin à l’esclavage et à la discrimination.