– Six personnes auraient été torturées en détention
– Recours excessif à la détention provisoire et violation du droit à un procès équitable
– Conditions de détention déplorables, aggravées par la pandémie de COVID-19
– Progrès accomplis dans les enquêtes sur les violences commises dans le contexte électoral
En Côte d’Ivoire, des centaines de personnes languissent derrière les barreaux dans des conditions déplorables après avoir été arrêtées lors des épisodes de violence et des manifestations qui ont eu lieu l’an dernier dans le contexte électoral, et nombre d’entre elles, en détention provisoire, ne peuvent pas consulter aisément un avocat, a déclaré Amnesty International le 26 mars 2021.
Lors d’une mission dans ce pays le mois dernier, l’organisation a interrogé 52 personnes, dont d’anciens détenu·e·s, des familles de détenu·e, des avocat·e·s, des victimes de violence et des militant·e·s. L’équipe de recherche s’est entretenue avec les autorités afin d’évaluer les mesures judiciaires prises à la suite des manifestations et des violences qui s’étaient déroulées entre août et novembre 2020, dans le contexte de l’élection présidentielle d’octobre.
Au moins 300 personnes, dont des militant·e·s, des manifestant·e·s, des sympathisant·e·s de l’opposition et des auteur·e·s présumés de violences appartenant à divers courants politiques ont été arrêtés et placés en détention. Il était impossible de déterminer le nombre exact de personnes en détention pour des motifs liés à ces événements puisque les autorités n’ont pas communiqué cette information, et la délégation d’Amnesty International n’a pas été autorisée à se rendre dans les prisons, bien qu’elle en ait formulé officiellement la demande.
« Les personnes détenues souffrent des conditions déplorables qui règnent dans des prisons déjà surpeuplées. Beaucoup d’entre elles peuvent difficilement consulter un avocat ou bénéficier de soins médicaux, et les restrictions actuelles en rapport avec le coronavirus empêchent leur famille de leur rendre visite. Il faut qu’elles soient traitées avec humanité et puissent communiquer avec leur famille et leur avocat·e », a déclaré Samira Daoud, directrice pour l’Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à Amnesty International.
« Nous appelons les autorités ivoiriennes à mettre fin au recours systématique à la détention provisoire, en particulier à libérer immédiatement et sans condition les personnes détenues arbitrairement et à accélérer les procédures concernant les autres, dans le strict respect des droits de la défense. »
Amnesty International salue les progrès accomplis dans les enquêtes sur les violences qui ont fait rage entre les sympathisant·e·s du parti au pouvoir et ceux de l’opposition dans de nombreuses villes. Les familles des victimes d’homicide’‘attendent toujours d’obtenir justice, vérité et réparations. La délégation a constaté que les investigations étaient toujours en cours et que des arrestations ont eu lieu.
Cependant, l’organisation a recueilli des informations faisant état de violations des droits humains dans le cadre des procédures judiciaires visant des manifestant·e·s et d’autres personnes, notamment des arrestations arbitraires, le recours systématique à la détention provisoire, l’absence d’assistance juridique, des actes de torture ou d’autres mauvais traitements présumés et les mauvaises conditions de détention.
Détentions arbitraires
En août 2020, les partis d’opposition ont appelé à manifester contre la candidature du président Alassane Ouattara à un troisième mandat. Dès lors, de nombreuses personnes, notamment des membres de l’opposition et des militant·e·s de la société civile, ont été arrêtées arbitrairement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression etde réunion pacifique.
Certaines ont été libérées après avoir passé des jours, des semaines, voire des mois en détention, mais de nombreuses autres sont toujours derrière les barreaux. Parmi elles figure Pulchérie Édith Gbalet, présidente d’Alternative citoyenne ivoirienne (ACI), une organisation qui lutte pour la justice sociale.
Cette femme a été arrêtée le 15 août 2020 par des individus encagoulés après avoir appelé à manifester pacifiquement. Elle a été inculpée d’atteinte à l’ordre public, participation à un mouvement insurrectionnel, atteinte à l’autorité de l’État, destruction volontaire de biens publics et provocation à un attroupement.
Trois de ses collègues, Gédéon Junior Gbaou, Aimé César Kouakou N’Goran et Cyrille Djehi Bi, ont été arrêtés pour les mêmes motifs. Ils sont tous détenus à l’heure actuelle à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA).
« Pulchérie Édith Gbalet, ses trois collègues et les autres personnes détenues arbitrairement doivent être libérés immédiatement et sans condition. Il faut qu’ils puissent retrouver leur famille en toute sécurité et continuer leurs activités militantes légitimes », a déclaré Michèle Eken, chercheure sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.
L’organisation a recueilli des informations sur plusieurs cas de personnes détenues arbitrairement, dont beaucoup n’avaient même pas participé aux manifestations.
Un homme d’affaires a été arrêté en novembre 2020 sur le chemin de son bureau, situé à proximité du siège d’un parti d’opposition. Inculpé de trouble à l’ordre public, il est toujours détenu à la MACA.
Une autre personne, arrêtée en août 2020 alors qu’elle se rendait à la pharmacie un jour de manifestation, se trouve en détention provisoire depuis lors.
Détention provisoire systématique et manque d’accès à un avocat
Nombre de personnes dont l’arrestation est liée aux manifestations et aux violences commises dans le contexte électoral sont en détention provisoire depuis des mois. Plusieurs n’ont pas eu accès à un avocat depuis leur placement en détention et ont comparu devant un juge d’instruction sans avocat pour contester les charges et la nécessité de leur détention.
« La détention provisoire devrait être une exception, et non la règle. Elle ne devrait en aucun cas servir à punir a priori des personnes qui n’ont pas été reconnues coupables, et ne le seront peut-être jamais. Il est important de respecter le droit à la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable de toutes les personnes inculpées, y compris le droit à un avocat », a déclaré Samira Daoud.
Allégations de torture
Six personnes auraient été contraintes de reconnaitre les accusations portées contre elles après avoir été soumises à des actes de torture ou d’autres mauvais traitements.
Un homme arrêté le 31 octobre 2020 a passé près d’un mois à la Direction de la surveillance du territoire (DST), où cinq autres personnes et lui-même auraient été torturés au moyen de câbles électriques et de pistolets paralysants. Ils auraient ensuite reçu des coups de machettes, avant de signer une déclaration qu’ils n’ont pas été autorisés à lire. Ils ont été transférés tous les six à la MACA.
En novembre, un dirigeant de la section jeunesse d’un parti d’opposition a été arrêté, menotté et emmené à la DST, où il aurait été battu, notamment roué de coups de poing, avant d’être inculpé de huit chefs, y compris de trouble à l’ordre public et de conspiration contre l’État.
Un autre homme, arrêté le 18 octobre, a passé six jours à la DST, où il aurait été battu au moyen de machettes et de câbles électriques.
« Les autorités ivoiriennes doivent ouvrir immédiatement des enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies sur les allégations selon lesquelles des personnes auraient été torturées et menacées en détention », a déclaré Michèle Eken.
Conditions carcérales déplorables
Les autorités et plusieurs avocats ont indiqué à Amnesty International que la plupart des personnes détenues, y compris celles arrêtées dans d’autres villes, étaient incarcérées à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA).
En janvier 2020, cet établissement accueillait 7 782 personnes, dont plus de la moitié en détention provisoire, alors que sa capacité n’est que de 1 500. Selon des témoins, la MACA est davantage surpeuplée depuis la vague d’arrestations qui a déferlé entre août et novembre 2020.
Outre la grave surpopulation, ils ont décrit des conditions insalubres qui favorisaient les maladies. Au moins une personne détenue, arrivée à la MACA en août, a obtenu un résultat positif au test de dépistage du coronavirus. Une autre n’a pas été autorisée à se doucher pendant trois jours.
En ce qui concerne la partie réservée aux femmes, d’anciennes détenues ont indiqué qu’elles se douchaient, faisaient la vaisselle et lavaient le linge dans la même cellule infestée de moustiques, où régnait une chaleur étouffante.
Des problèmes de santé aggravés par le manque de soins médicaux
Au moins une personne arrêtée au cours de ces évènements et détenue à la MACA est morte.
Aristide Ahui est décédé le 9 mars 2021 après son admission à l’hôpital. Arrêté le 29 octobre 2020 pour atteinte à l’autorité de l’État alors qu’il était allé acheter à boire, il était détenu à la MACA dans l’attente de son procès. Il avait le pied droit paralysé et sa santé s’est dégradée rapidement pendant sa détention provisoire.
D’après les informations reçues par Amnesty International, l’état d’Aristide Ahui s’est aggravé au point qu’il ne pouvait plus parler ni bouger. Il a été conduit à l’hôpital une première fois début février 2021 puis renvoyé en prison, où sa situation s’est détériorée.
Face aux pressions exercées par plusieurs personnalités, il a été admis au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody fin février ; il y est décédé le 9 mars. Les frais d’hospitalisation ont été réglés par sa famille.
Un membre de sa famille a déclaré à Amnesty International :
« Après son arrestation, je n’ai pas pu lui rendre visite à cause des restrictions liées à la pandémie de COVID-19. Ils ont fouillé la maison. Il n’avait pas d’avocat. Il n’était pas malade avant son arrestation. On m’a dit qu’il avait d’abord contracté la tuberculose. Il était enchaîné à son lit d’hôpital. »
Un autre détenu a été arrêté le 13 août aux côtés de dizaines d’autres personnes, inculpé de trouble à l’ordre public et incarcéré à la MACA. Une pathologie cardiaque lui a été diagnostiquée avant son arrestation mais il n’a pas pu consulter de cardiologue depuis son placement en détention. À son arrivée à la prison, il a été emmené à l’hôpital car une douleur à la poitrine l’empêchait de respirer. Un traitement antibiotique d’une semaine lui a été prescrit, ce qui a légèrement amélioré son état, mais il a rechuté par la suite.
« Alors que la surpopulation carcérale augmente, et dans le contexte de la pandémie de COVID-19, nous appelons de nouveau les autorités à libérer davantage de personnes, en particulier celles qui souffrent déjà d’une pathologie, conformément aux recommandations de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, a déclaré Samira Daoud.
« Elles doivent s’efforcer de ne recourir à la détention provisoire qu’en dernier ressort. »
Document public **************************************** Pour obtenir plus d’informations ou organiser un entretien, veuillez contacter press@amnesty.org ; Twitter : @AmnestyWaro ou le Service de presse : +44 20 7413 5566.