AMNESTY INTERNATIONAL
ARTICLE
2 juillet 2019
AILRC-FR
Par Sabrina Tucci, chargée de campagne à Amnesty International sur la responsabilité des
entreprises en matière de droits humains
Pour de nombreuses personnes dans le monde, les vacances d’été approchent à grands pas, et elles
se connectent à Airbnb, Booking.com, Expedia ou encore TripAdvisor sans arrière-pensée.
Peu d’entre elles réalisent qu’en plus d’aider des vacanciers à louer des séjours à la plage, des
escapades citadines, ainsi que des hôtels et des vols bon marché, ces entreprises encouragent le
tourisme dans des colonies israéliennes qui violent le droit international, et participent en
conséquence à un système de discrimination institutionnalisé et de violations massives des droits
humains subies par des centaines de milliers de Palestiniens.
J’ai été directement témoin de cela quand je me suis rendue, en ma qualité de chargée de campagne
à Amnesty International sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains, dans les
territoires palestiniens occupés (TPO) et que j’ai visité le village Khirbet Susiya, il y a un an.
Les femmes de la famille Nawaja m’ont accueillie chez elles – dans une grande tente de style
bédouin –, et entre deux verres de thé sucré et au milieu du joyeux bavardage des enfants, elles
m’ont raconté leur histoire. Elles m’ont expliqué que les colonies israéliennes et le site archéologique
touristique, ainsi que les commerces qui ont été construits tout autour, ont anéanti la vie de toute une
communauté palestinienne.
Khirbet Susiya, où vivent quelque 300 Palestiniens, est un petit village situé dans les collines au sud
d'Hébron, dans le sud de la Cisjordanie. Quand je me suis promenée dans le village, j’ai
immédiatement été frappée par la pauvreté de ses habitants. La plupart d’entre eux vivent dans de
fragiles baraques en bois et dans des tentes poussiéreuses. Dans ce paysage aride, à un peu plus
d’un kilomètre de là, on trouve la colonie israélienne de Susya. Cette petite ville tranquille et bien
tenue qui compte un millier d’habitants m’a rappelé les banlieues cossues de l’ouest qui symbolisent
souvent les inégalités.
Susya a été établie en 1983 sur des terres appartenant à des villageois palestiniens de Khirbet
Susiya, au prix du déplacement d’une communauté qui vivait depuis plusieurs décennies autour des
ruines anciennes de Susiya, et sur les terres agricoles des environs. En 1986, les autorités
israéliennes ont déclaré que les ruines et les terres du village se trouvaient sur un site archéologique,
et procédé à l’expulsion forcée des habitants palestiniens. La spoliation de la communauté
palestinienne et l’établissement de la colonie sont des crimes de guerre ; l’existence même de cette
colonie constitue une violation du droit international.
Ce site archéologique, ainsi que l’établissement viticole et les vignes qui se trouvent dans la colonie
de Susya, font partie des attractions touristiques proposées par TripAdvisor. Le centre d'accueil des
visiteurs du site archéologique vend des articles produits ou fabriqués par les colons de la colonie de
Susya et des environs, notamment du vin, d’autres boissons alcoolisées, des herbes, du miel, du
chocolat, de l’huile d’olive, des crèmes et des objets artisanaux.
En faisant de la publicité pour ces sites auprès de touristes du monde entier, TripAdvisor profite de ce
dopage de l’économie d’une colonie qui est fondée sur des terres volées qui est la cause de violations
des droits humains des Palestiniens.
Les familles déplacées de Khirbet Susiya ne se sont pas vu proposer de logement de remplacement
et elles n’ont pas été indemnisées. La plupart de ces familles se sont installées dans des villages des
environs, mais la famille Nawaja a décidé de rester sur place, entre la colonie israélienne et le site
archéologique.
La communauté a perdu de vastes étendues de terres et elle a dû réduire la taille de ses troupeaux,
qui constituent sa principale source de revenus. Les autorités israéliennes ont refusé de raccorder le
village aux réseaux de distribution d’eau et d’électricité et au système d’évacuation des eaux usées,
ce qui oblige les habitants à payer pour faire venir des camions-citernes qui leur livrent de l’eau. Par
contre, les habitants de la colonie ont de l’eau en abondance et ils disposent même d’une piscine
municipale.
Les Palestiniens de Khirbet Susiya vivent en outre dans la peur de voir leurs maisons et leurs autres
bâtiments démolis à tout moment, car ils ont été forcés de les construire sans permis, permis que les
autorités israéliennes refusent systématiquement de leur accorder. « Ceux qui habitent dans des
maisons qui font l’objet d’un ordre de démolition vivent dans un état d’angoisse permanent. Beaucoup
d’entre eux souffrent psychiquement de cette situation. Un bulldozer peut arriver dans la nuit et tout
démolir. Ici, les enfants vivent dans la peur », m’a expliqué une des femmes qui m’ont reçue, Fatma,
qui est assistante sociale et mère de deux enfants.
Ces personnes subissent aussi des violences et un harcèlement systématique de la part de colons
israéliens qui vandalisent régulièrement les oliveraies, les jeunes arbres et les autres biens des
Palestiniens, font voler des drones au-dessus de leurs tentes pour les intimider, et les agressent
physiquement et verbalement.
Ola, qui a quatre enfants, m’a dit que ses trois filles, qui étaient à l’époque âgées de sept, 12 et
13 ans, ont été agressées par deux colons qui ont lancé des pierres sur elles alors qu’elles rentraient
de l’école : « Ici, dans le village, les mères ne veulent pas que les enfants aillent dans la rue qui est
pavée, parce qu’elles craignent qu’ils ne soient agressés par des colons. » Sa fille aînée a ajouté :
« Je n’aime pas aller à l’école à cause des colons. Ils portent des armes. Ils sont plus dangereux que
l’armée. »
Une année s’est écoulée depuis ma visite à Khirbet Susiya et dans ses environs, et TripAdvisor
continue de faire de la publicité pour deux attractions touristiques liées à la colonie de Susya malgré
les violations des droits humains persistantes et bien documentées qu’elle a causées. Ce faisant,
TripAdvisor a choisi de continuer de participer à ces violations, et d’en tirer profit.
Il incombe aux entreprises de respecter tous les droits humains et de se conformer au droit
international, où qu’elles opèrent dans le monde. Cela comprend l’obligation d’éviter de causer des
violations et d’y contribuer, et celle de remédier à de telles violations le cas échéant.
Les appels lancés par Amnesty International à TripAdvisor pour que cette entreprise cesse de
proposer des attractions situées dans des colonies illégales comme Susya, sont restés lettre morte.
Il est très difficile d’amener de puissantes entreprises à rendre des comptes, et je doute que ce simple
article puisse à lui seul convaincre TripAdvisor et d’autres entreprises de réservation de changer
d’attitude. Mais j’espère que cela aidera au moins les personnes qui le liront à prendre des décisions
en connaissance de cause en ce qui concerne leurs vacances, et qu’avec des actions militantes
collectives nous arriverons enfin à empêcher Israël de continuer de violer les droits humains des
Palestiniens dans les TPO.
En attendant, les villageois de Khirbet Susiya sont déterminés à continuer de se battre pour leur
survie. Ola a ainsi déclaré :
« Ce sont nos terres et nous ne partirons pas. Ils détruiront, et nous reconstruirons : nous resterons. »
FIN