Qatar. Des travailleurs migrants expulsés illégalement pendant la pandémie de COVID-19

AMNESTY INTERNATIONAL

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

AILRC-FR

15 avril 2020

Les autorités du Qatar ont arrêté et expulsé des dizaines de travailleurs migrants, après leur avoir dit qu’ils allaient être soumis à des tests de dépistage du COVID-19, a appris Amnesty International.

L’organisation s’est entretenue avec 20 hommes népalais appréhendés par la police du Qatar en même temps que des centaines d’autres en mars 2020. La police avait indiqué à la plupart de ces hommes qu’ils allaient être soumis à des tests de dépistage du COVID-19 et qu’ils pourraient regagner leur logement après. Au lieu de cela, ils ont été conduits dans des centres de détention où ils ont été maintenus dans des conditions abominables pendant plusieurs jours, avant d’être renvoyés au Népal.

« Parmi les hommes avec qui nous nous sommes entretenus, aucun n’avait reçu la moindre explication quant aux raisons pour lesquelles ils étaient traités ainsi. Ils n’ont pas non plus pu contester leur détention ou leur expulsion. Après avoir passé plusieurs jours dans des conditions de détention inhumaines, nombre de ces hommes n’ont pas eu la possibilité de récupérer leurs affaires avant d’être placés dans des avions à destination du Népal », a déclaré Steve Cockburn, directeur adjoint du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.

« Il est inquiétant de constater que les autorités qatariennes semblent avoir utilisé la pandémie comme écran de fumée afin de commettre de nouvelles atteintes contre des travailleurs migrants, dont de nombreux affirment que la police les a induits en erreur en leur disant qu’ils allaient être “testés”. Le COVID-19 n’est pas une excuse pour procéder à des arrestations arbitraires. »

« Les autorités doivent accorder des réparations à ces hommes pour la manière dont ils ont été traités et envisager d’autoriser ceux qui ont été expulsés à revenir au Qatar s’ils le souhaitent. Les employeurs de ces hommes doivent également leur verser de toute urgence leur salaire et les prestations sociales qui leur sont dues. »

Arrêtés et détenus

Jeudi 12 et vendredi 13 mars, des centaines de travailleurs migrants ont été arrêtés et placés en détention par la police dans différentes zones de Doha, notamment dans la zone industrielle, Barwa City et Labour City. Ils ont été appréhendés alors qu’ils ne se trouvaient pas dans leur logement, pendant qu’ils faisaient des courses notamment.

Certains travailleurs ont déclaré que la police leur avait dit spécifiquement qu’ils allaient être soumis à des tests de dépistage du COVID-19 et qu’ils seraient reconduits à leur logement par la suite. D’autres ont déclaré que les agents de police s’étaient adressés à eux en arabe et que le seul mot qu’ils avaient pu comprendre était « corona ».

L’un d’eux a déclaré à Amnesty International : « On nous a demandé de nous arrêter afin d’être testés pour le virus. La police nous a dit que le médecin allait venir et dépister le virus. Mais on nous a menti. »

Les hommes ont été entassés dans des bus et conduits dans un centre de détention dans la zone industrielle de Doha. Leurs papiers et téléphones portables leur ont alors été confisqués, ils ont été pris en photo et leurs empreintes digitales ont été relevées. Les travailleurs ont été détenus dans des conditions inhumaines avec des dizaines d’autres personnes originaires de divers pays. Ils ont été détenus dans des cellules surpeuplées, sans lits ni literie et n’ont pas reçu suffisamment d’eau et de nourriture.

Un homme népalais a déclaré à Amnesty International : « La prison était pleine de gens. On nous donnait un bout de pain par jour, ce qui n’était pas suffisant. Nous étions nourris en groupe, tous ensemble, et la nourriture était posée sur du plastique par terre. Certaines personnes ne réussissaient pas à avoir de la nourriture en raison de la foule. »

Sur les 20 personnes avec qui Amnesty s’est entretenue, seulement trois ont indiqué que leur température avait été prise pendant qu’ils se trouvaient au centre de détention.

Expulsions

Pendant qu’ils étaient détenus, les hommes avec qui Amnesty International s’est entretenue ont appris qu’ils allaient être expulsés, mais certains ne l’ont appris que lorsqu’ils étaient conduits à l’aéroport. Certains ont été expulsés le 15 mars et d’autres le 19 mars. Aucun n’a pu contester sa détention ou son expulsion.

Certains hommes ont eu quelques minutes seulement pour rassembler leurs affaires alors que d’autres n’ont même pas pu les prendre. Un homme a déclaré : « J’ai été menotté et traité comme un criminel. J’ai été conduit à mon camp pour rassembler mes affaires, mais comment aurais-je pu faire mes bagages avec les mains menottées ? »

La plupart des travailleurs ont déclaré que leur température avait été prise à l’aéroport international Hamad, avant qu’ils embarquent, puis une nouvelle fois à leur arrivée à Katmandou.

Certains ont déclaré que la police les avait menacés d’engager des poursuites pénales contre eux et de les maintenir au centre de détention plus longtemps s’ils se plaignaient ou essayaient de contester la situation.

Des salaires non payés

Sur les 20 hommes avec qui Amnesty s’est entretenue, seuls deux ont indiqué que les entreprises pour lesquelles ils travaillaient les avaient contactés pour leur proposer de leur verser leur salaire. L’un d’eux a déclaré que son entreprise lui avait donné de l’argent liquide pendant qu’il était en détention, mais qu’un policier le lui avait pris pour le « mettre en sécurité », mais ne le lui avait jamais rendu. Le deuxième homme a déclaré que son entreprise lui avait dit d’ouvrir un compte en banque pour pouvoir lui verser son salaire.

Tous les travailleurs ont quitté le Qatar sans recevoir de salaire ou d’indemnité de fin de contrat, ce qui est particulièrement inquiétant puisque nombre de ces hommes avaient engagé des sommes d’argent considérables pour obtenir un emploi au Qatar et devront probablement rembourser de hauts taux d’intérêt.

Un homme a déclaré : « C’est difficile maintenant. Mes enfants n’ont pas de vêtements, c’est difficile de les nourrir. » Un autre a déclaré avoir été menacé par un prêteur sur gages et lutter pour subvenir aux besoins de ses cinq enfants.

Réponse du gouvernement du Qatar

Face aux éléments présentés par Amnesty International, le gouvernement du Qatar a déclaré qu’en inspectant la zone industrielle de Doha dans le cadre de la réponse au COVID-19, « des responsables avaient découvert des individus prenant part à des activités illégales et illicites. Cela inclut la fabrication et la vente de substances illégales et la vente de denrées alimentaires dangereuses dont la consommation pourrait menacer la santé de la population. »

Cependant, 18 des hommes avec qui Amnesty International s’est entretenue ont déclaré qu’ils n’étaient pas au courant de la moindre accusation ou poursuite engagée contre eux. Deux autres ont indiqué qu’un autre détenu qui parlait arabe leur avait dit qu’ils étaient accusés d’avoir fourni de l’alcool. Ni la police ni aucun représentant des autorités ne les ont informés de ces accusations, qu’ils ont catégoriquement niées auprès d’Amnesty International.

L’organisation a examiné les documents en arabe qui ont été fournis aux hommes, et ceux-ci indiquent qu’ils n’ont pas été inculpés d’une quelconque infraction. Quoi qu’il en soit, aucun des hommes avec qui l’organisation s’est entretenue n’a pu contester la légalité de sa détention et de son expulsion, ce qui est contraire aux dispositions du droit international relatif aux droits humains.

Recommandations

Amnesty International appelle les autorités qatariennes à veiller à ce que tous les travailleurs ayant été détenus et menacés d’être expulsés soient informés des raisons de ces mesures et aient la possibilité de les contester. Le Qatar doit également garantir un recours effectif et des réparations à tous les travailleurs dont les droits ont été bafoués. Les autorités qatariennes doivent également veiller à ce que le droit à la santé de tous les travailleurs migrants soit garanti pendant la crise du COVID-19.