ÉTATS-UNIS : LA POURSUITE INSENSÉE DES EXÉCUTIONS FÉDÉRALES IMPOSE UN RÉEXAMEN DES PROCÉDURES ET UNE INTERRUPTION IMMÉDIATE DU RECOURS À LA PEINE DE MORT

Le 14 juillet, les autorités américaines ont procédé à la première exécution depuis 17 ans d’une personne condamnée à mort au titre du droit fédéral. Le gouvernement en a ensuite ordonné deux autres, pratiquées les 16 et 17 juillet, et en a programmé quatre pour la fin du mois d’août et le mois de septembre. Si toutes ces exécutions ont lieu, le gouvernement de Donald Trump aura triplé, en à peine plus de deux mois, le nombre d’exécutions fédérales recensées depuis 1977 – année de reprise des exécutions après la trêve entraînée par l’arrêt Furman c. Géorgie1. Alors que le recours à la peine de mort recule dans le pays et dans le monde, le gouvernement fédéral n’a pas hésité à ordonner des exécutions au beau milieu d’une pandémie sans précédent.

La mise en œuvre implacable des exécutions par le ministère américain de la Justice ces dernières semaines attire l’attention non seulement sur les déficiences et la nature arbitraire qui caractérisent depuis longtemps le système d’application de la peine capitale aux États-Unis, mais aussi sur le mépris cruel dont fait preuve l’administration de Donald Trump à l’égard des garanties et des restrictions imposées par le droit international et les normes connexes afin de protéger les droits de toute personne accusée qui encourt la peine de mort. Compte tenu de l’imminence de l’exécution de quatre hommes par injection létale, prévue dans les semaines à venir, un réexamen complet du recours à la peine de mort s’impose de toute urgence.

Le présent document met en exergue les préoccupations, en matière de droits humains, soulevées par les trois exécutions de juillet. Il a pour but d’amener le Congrès américain, ainsi que les organes régionaux et internationaux, à enquêter sur les événements ayant abouti à l’exécution de ces trois hommes ; il vise également à lancer un appel au ministère de la Justice pour qu’il annule toutes les exécutions programmées et adopte par là même la première mesure déterminante en faveur de l’abolition de la peine de mort en droit.

1. NATURE ARBITRAIRE DE LA REPRISE DES EXÉCUTIONS

En mettant un terme à l’interruption observée depuis 17 ans – et trois mandats présidentiels –, la reprise des exécutions par le gouvernement fédéral, en juillet, a renforcé le caractère arbitraire du système américain d’application de la peine de mort, déjà déficient2. Selon le droit international et les normes connexes, l’abolition de la peine de mort est depuis longtemps l’objectif à atteindre dans les pays où elle existe encore3. Aux termes de cette vision abolitionniste, la recrudescence du recours à la peine de mort entre en contradiction avec la protection du droit à la vie. D’après le Comité des droits de l’homme des Nations unies – l’organe d’experts indépendant chargé de l’interprétation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) : « La peine de mort n’est pas conciliable avec le plein respect du droit à la vie, et son abolition est à la fois souhaitable et nécessaire pour la promotion de la dignité humaine et la réalisation progressive des droits de l’homme. Il est contraire à l’objet et au but de l’article 6 que les États parties prennent des dispositions pour augmenter de facto le taux d’utilisation de la peine

de mort ainsi que la mesure dans laquelle ils ont recours à cette peine ou qu’ils réduisent le nombre de grâces et de commutations de peine qu’ils accordent4. »

Les États n’ayant pas encore aboli la peine de mort ne peuvent l’appliquer que de manière non arbitraire. Selon le Comité des droits de l’homme des Nations unies, « [l]’adjectif “arbitraire” n’est pas synonyme de “contraire à la loi” mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité5 ». Les exécutions mises en œuvre à la suite d’un revirement de politique lié à des facteurs externes sans aucun lien avec le crime ou la personne condamnée en question peuvent donc être considérées comme arbitraires. Dans son rapport de 2014, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires de l’époque a expliqué que, « [s]i les exécutions sont suspendues pendant une longue période, on ne voit pas comment les autorités seraient en mesure de fournir des raisons objectives à leur reprise à un moment donné ou pour des condamnés à mort particuliers, notamment sans annonce préalable. Si la date des exécutions et la sélection des condamnés sont arrêtées de façon essentiellement aléatoire, ces exécutions deviennent arbitraires. […] L’exécution de ce condamné, dans le seul dessin d’asseoir l’autorité du système pénal, est arbitraire6. »

En juillet 2019, le gouvernement fédéral américain actuellement au pouvoir a commencé à adopter des mesures afin de reprendre les exécutions. Il a instauré une version révisée du protocole d’exécution par injection létale, qui permet désormais l’utilisation d’une seule substance, le pentobarbital. Il a ensuite ordonné la programmation de cinq exécutions en décembre 2019 et janvier 20207. Les procédures engagés contre la mise en œuvre de ces exécutions ont permis de les suspendre jusqu’en juin 2020, date à laquelle le gouvernement américain a finalement décidé d’en organiser quatre le mois suivant. En juillet 2020, de nouvelles exécutions ont été programmées pour août et septembre8. Le ministère américain de la Justice n’a fourni aucun argument pour justifier sa décision de reprendre soudain les exécutions. Il a déclaré que les hommes concernés par ces exécutions – ayant tous été déclarés coupables et condamnés à mort entre 16 et 21 ans plus tôt – avaient été choisis car des femmes ou des enfants figuraient parmi les victimes de leurs crimes, mais il n’a fourni aucune explication sur l’ordre de priorité établi entre les cas individuels. Il n’a pas non plus fourni d’explication claire sur les dates retenues pour ces exécutions. Le président Donald Trump était déjà un ardent défenseur de la peine capitale avant son élection9 ; au cours de son mandat, il s’est prononcé en faveur de son application ou de sa mise en œuvre dans plusieurs affaires10. La reprise des exécutions en fonction des seules convictions du gouvernement du moment est un retour en arrière qui rend ces décisions de vie ou de mort arbitraires.

2. EXÉCUTION D’UN CONDAMNÉ PRÉSENTANT DE GRAVES TROUBLES MENTAUX

Wesley Ira Purkey a été exécuté le 16 juillet. Ses avocats avaient introduit une requête devant la cour fédérale du district de Columbia pour demander une suspension de l’exécution, en invoquant le fait que leur client était atteint de la maladie d’Alzheimer et qu’on lui avait diagnostiqué un syndrome de stress post-traumatique complexe, une forme de schizophrénie, des troubles bipolaires, une dépression majeure et un état de psychose, ce qui le rendait inapte à être exécuté11. La cour de district a résumé son cas comme suit : « Wesley Ira Purkey a 68 ans. Enfant, il a été victime d’abus sexuels répétés aux mains des personnes chargées de veiller sur lui. Jeune homme, il a souffert de multiples lésions cérébrales traumatiques – une première fois en 1968, lorsqu’il avait 16 ans, puis en 1972 et 1976, lorsqu’il avait 20 ans et 24 ans, respectivement. À 14 ans, il a subi un premier examen pour déterminer s’il présentait des lésions cérébrales. À 18 ans, on lui a diagnostiqué une réaction

schizophrène, des troubles proches de la schizophrénie et une dépression superposés à un trouble préexistant de la personnalité antisociale. À 68 ans, il présente une forme de démence progressive, de la schizophrénie, un syndrome de stress post-traumatique complexe et de graves troubles mentaux12. »

L’application de la peine de mort et le recours à ce châtiment contre des personnes atteintes de troubles mentaux (psychosociaux) ou de déficiences intellectuelles, même apparus après leur condamnation à mort, sont interdits par le droit international13. Dans son observation générale nº 36, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a insisté sur ce qui suit : « Les États parties [au PIDCP] doivent s’abstenir d’imposer la peine de mort à des personnes qui, par rapport aux autres, ont des difficultés particulières pour se défendre elles-mêmes, comme les personnes qui présentent un grave handicap psychosocial ou intellectuel qui les empêche de se défendre effectivement et les personnes dont la responsabilité morale est limitée. Ils devraient également s’abstenir d’exécuter des personnes qui ont une moindre aptitude à comprendre les raisons de leur condamnation14… ». Dans un commentaire sur une affaire de 2015, le rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a indiqué considérer que l’exécution de personnes souffrant de handicaps mentaux constitue une violation d’une norme du droit international coutumier15.

Le matin du jour prévu pour l’exécution de Wesley Ira Purkey, la cour de district a accepté de la suspendre au motif que le condamné avait fourni des éléments solides démontrant son inaptitude à être exécuté. Or, aux premières heures du 16 juillet, la Cour suprême a levé cette injonction sans exposer les motifs de sa décision, par un arrêt adopté par cinq voix à quatre16.

Dans leur réponse aux requêtes et aux recours ayant précédé la levée du sursis, les autorités n’ont fourni aucun élément de preuve du fait que Wesley Ira Purkey était apte à être exécuté, comme elles le déclaraient. Au lieu de cela, elles ont entrepris de remettre en question le choix de la juridiction devant laquelle la requête en habeas corpus avait été introduite. Dans son avis minoritaire, partagé par trois autres juges, la magistrate de la Cour suprême Sonia Sotomayor a déclaré : « Les autorités n’opposent pas d’objection à la validité du motif de la requête introduite par M. Purkey pour que son exécution soit interdite. Elles chicanent plutôt sur le choix de la juridiction devant laquelle le condamné a introduit sa requête, principalement. De ce point de vue, cette objection n’est pas liée à une “circonstance exceptionnelle” qui justifie la levée d’une injonction préliminaire. Elle ne sert pas non plus de base à la décision de la présente Cour de court-circuiter le recours judiciaire et de permettre l’exécution d’une personne parfaitement susceptible d’être inapte. Fait important, les autorités ne semblent pas remettre en question le fait que la requête de M. Purkey concernant son aptitude soit recevable si elle est introduite dans le district sud de l’Indiana. Elles n’identifient pas d’obstacles procéduraux à ce recours. En effet, les autorités ont proposé que la cour du district de Columbia transfère le dossier à la cour du district sud de l’Indiana car il s’agit, à leur avis, de “l’instance appropriée pour examiner la requête en habeas corpus [de M. Purkey]”. L’existence d’une cour de district compétente pour examiner en bonne et due forme le recours de M. Purkey faisant suite à l’arrêt Ford c. Wainwright et sa requête concernant la tenue d’une audience pour déterminer son aptitude à être exécuté est donc incontestée17. »

La défense de Wesley Ira Purkey a déclaré avoir découvert, le jour même où l’exécution était prévue, que « les autorités avaient dissimulé des éléments scientifiques prouvant la progression de sa démence18. » Elle a également souligné qu’au moment de sa mort, « la démence [de Wesley Ira Purkey] avait progressé à tel point qu’il ne se souvenait pas des noms de ses proches, et même qu’il croyait que ses propres avocats faisaient partie d’une vaste conspiration orchestrée par les autorités contre lui19. » En procédant à l’exécution de Wesley Ira Purkey, les autorités américaines ont commis une violation du droit international et des normes connexes en matière de recours à la peine de mort.

3. EXÉCUTIONS MALGRÉ DES RECOURS EN INSTANCE

Selon le droit international et les normes connexes, une des garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort est qu’une exécution ne doit pas avoir lieu « pendant une procédure d’appel ou toute autre procédure de recours ou autre pourvoi en vue d’obtenir une grâce ou une commutation de peine20 ». Dans son observation générale nº 36, le Comité des droits de l’homme a déclaré qu’« [u]ne peine de mort ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement définitif, après que la possibilité de recourir à toutes les procédures judiciaires d’appel a été offerte à la personne condamnée, et après que tous les recours non judiciaires disponibles ont été examinés, notamment le recours au titre de la procédure de contrôle présenté au ministère public ou aux tribunaux, et la demande de grâce officielle ou privée21. »

Dans le cas de deux exécutions sur les trois ayant abouti en juillet, les autorités fédérales ont commencé à administrer l’injection létale avant que les tribunaux puissent se prononcer sur les requêtes en cours, contrairement à ce que prévoit cette garantie internationale. Une fois la date d’exécution prévue arrivée à expiration, le 13 juillet à minuit, et après avoir appris que le ministère de la Justice avait reprogrammé l’exécution de Daniel Lewis Lee pour quelques heures plus tard, le 14 juillet, ses avocats ont immédiatement alerté le ministère public que l’exécution ne pouvait avoir lieu car un sursis n’avait pas été levé. Les autorités, qui avaient déjà lancé la procédure d’exécution, ont agi immédiatement pour annuler le sursis. La défense a ensuite introduit une requête d’urgence devant la cour fédérale du district de Columbia pour qu’une décision immédiate soit rendue dans le cadre d’une requête soumise en juin et pour obtenir une suspension de l’exécution22. Malgré cela, Daniel Lewis Lee a été exécuté dès que le sursis précédent a été levé et avant que la cour de district puisse répondre à la nouvelle requête d’urgence. La défense a déclaré qu’elle était également en train de préparer des recours contre des décisions rendues dans le cadre d’autres requêtes23.

De même, la défense de Wesley Ira Purkey avait introduit une requête devant la cour du district sud de l’Indiana, après que le gouvernement eut suggéré, dans des décisions antérieures, que cette juridiction était celle compétente pour juger un tel recours. Finalement, la cour du district de l’Indiana a refusé de prononcer un sursis et la défense a introduit une requête d’urgence devant la cour d’appel fédérale du septième circuit24. Wesley Ira Purkey a été exécuté avant que la cour d’appel puisse rendre sa décision25.

4. POURSUITE CRUELLE DES EXÉCUTIONS, ABSENCE DE PRÉAVIS, NON-RESPECT DU DROIT DE RECOURS

Conformément aux garanties internationales à respecter dans tous les cas d’application de la peine de mort, ce châtiment doit être exécuté « de manière à causer le minimum de souffrances possibles26 », aussi bien physiques que mentales27. Sur les trois exécutions de juillet, deux ont eu lieu après d’importants retards et les autorités fédérales les ont poursuivies malgré l’expiration de la date initialement prévue pour l’administration des injections létales, en fixant à la hâte de nouvelles dates d’exécution pour y procéder immédiatement – sans avertir préalablement les avocats de la défense.

Daniel Lewis Lee a été déclaré mort à 8 h 07 le 14 juillet, plus de seize heures après le moment initialement prévu pour son exécution28. L’ordre d’exécution initial, qui fixait la date de celle-ci au 13 juillet, était arrivé à expiration à minuit, mais, deux heures plus tard, la Cour suprême fédérale a levé le sursis qui avait été ordonné par la cour fédérale du district de Columbia. Le ministère de la Justice a rapidement reprogrammé l’exécution au 14 juillet et a immédiatement lancé la procédure pour qu’elle ait lieu à 4 heures du matin. Daniel Lewis Lee a été attaché à la table d’injection et des cathéters intraveineux lui ont été posés – alors que ses avocats n’avaient reçu aucune notification. Puis, le temps que la validité d’un dernier sursis en cours soit encore examinée à la suite d’un recours, Daniel Lewis Lee a été cruellement maintenu attaché à la table d’injection létale pendant

quatre heures29. Dès que le dernier obstacle juridique a été levé, les autorités ont repris la procédure d’exécution et Daniel Lewis Lee a été déclaré mort 31 minutes plus tard.

L’ordre d’exécution initial de Wesley Ira Purkey est arrivé à expiration à minuit le 15 juillet, alors que ses recours étaient toujours en cours d’examen par les tribunaux. Après la levée par la Cour suprême, aux premières heures du 16 juillet, d’une injonction de suspendre son exécution, les autorités ont, là encore, immédiatement reprogrammé l’exécution et ont procédé à l’injection létale le 16 juillet à 7 h 5330. Wesley Ira Purkey a été déclaré mort le 16 juillet à 8 h 19, également seize heures après le moment initialement prévu pour son exécution31.

Aux termes du droit international, la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont absolument interdits32 ; les mécanismes des Nations unies ont établi un lien entre ces pratiques et l’angoisse suscitée par l’idée de mourir exécuté·e. Le rapporteur spécial sur la torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants a souligné que « les prisonniers condamnés à la peine capitale sont constamment en proie à une anxiété extrême suscitée par le sentiment d’une mort imminente. D’autres éléments, notamment l’absence de préavis quant à la date de l’exécution, les exécutions publiques et les erreurs commises par les bourreaux, aggravent les traumatismes psychologiques. […] L’angoisse extrême qu’éprouvent les condamnés à l’idée qu’ils vont bientôt mourir nuit à leur intégrité mentale et est assimilable à une forme de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant33. » Dans son Observation générale nº 36 (2018), le Comité des droits de l’homme précise : « Les États parties qui n’ont pas aboli la peine de mort doivent respecter l’article 7 du Pacte, qui interdit certaines méthodes d’exécution. Le non-respect de l’article 7 ne peut que rendre l’exécution arbitraire et, partant, constituer en outre une violation de l’article 6. Le Comité a déjà considéré que la lapidation, l’injection de drogues létales n’ayant pas fait l’objet de tests, les chambres à gaz, le fait de brûler ou d’enterrer le condamné vivant et les exécutions publiques étaient contraires à l’article 7. Pour des raisons similaires, les autres méthodes d’exécution douloureuses et humiliantes sont également illicites au regard du Pacte34. » Amnesty International estime que la persistance des autorités fédérales américaines à poursuivre les exécutions de Daniel Lewis Lee et de Wesley Ira Purkey malgré des retards prolongés et l’expiration des dates d’exécution prévues, en les reprogrammant immédiatement pour quelques heures plus tard, constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant, de même que le maintien de Daniel Lewis Lee attaché à la table d’injection pendant plusieurs heures.

Autre source de préoccupation, les avocats de Daniel Lewis Lee et de Wesley Ira Purkey ont déclaré n’avoir reçu aucune notification en bonne et due forme de la reprogrammation des exécutions. Dans un entretien diffusé sur le site d’actualités en ligne The Intercept, Ruth Friedman, avocate de Daniel Lewis Lee, a expliqué qu’il était au téléphone avec des membres de son équipe juridique lorsqu’on lui a fait quitter sa cellule. Elle a précisé qu’ils n’avaient eu connaissance de nombreuses informations que par l’intermédiaire d’autres témoins et des réseaux sociaux – y compris le fait que l’exécution avait repris et que leur client avait été exécuté35. Dans leur déclaration, les avocats de Wesley Ira Purkey ont également indiqué qu’ils n’avaient reçu aucune notification officielle de la nouvelle date de l’exécution et que « des journalistes présents à Terre Haute avaient annoncé sur Twitter que les autorités poursuivaient malgré tout leur projet d’exécuter M. Purkey36. »

Amnesty International considère que la peine de mort est toujours une violation du droit à la vie et constitue le châtiment le plus cruel, le plus inhumain et le plus dégradant qui soit. La poursuite insensée des exécutions par les autorités fédérales américaines a exacerbé la cruauté et l’angoisse liées à la procédure d’exécution. Par ailleurs, l’absence de préavis adressé aux avocats a privé les condamnés à mort de la possibilité de les consulter pour trouver une voie de recours en cas d’irrégularité de la procédure, compte tenu de la reprogrammation précipitée des exécutions, ou contre la mise en œuvre des exécutions malgré les requêtes en cours, notamment.

La précipitation dans laquelle ces exécutions se sont déroulées a également porté préjudice à la possibilité, pour les condamnés, d’engager des recours effectifs portant sur l’absence de défense satisfaisante lors de leurs procès en première instance et en appel, ainsi que sur d’autres défaillances et motifs de préoccupation de longue date dans leurs dossiers. Le juge de la Cour suprême Stephen Breyer, par exemple, a souligné, dans son avis minoritaire, que « la peine de mort est souvent infligée de

manière arbitraire. Le coaccusé de M. Lee, qui encourait également la peine capitale, a été condamné à la réclusion à perpétuité alors qu’il a commis le même crime37. » C’est précisément cette divergence des condamnations, notamment, qui a poussé la famille de la victime, le juge ayant présidé le procès et le procureur principal à s’opposer à l’exécution38. Les avocats de Wesley Ira Purkey avaient dénoncé le fait que le ministère public s’était appuyé sur « de la pseudoscience et de faux éléments à charge » pour s’assurer qu’il soit déclaré coupable et condamné à mort ; ils avaient également donné l’alarme du fait que deux juges fédéraux avaient conclu, pour deux motifs différents, que la condamnation à mort avait été obtenue de manière inique dans cette affaire sans toutefois pouvoir accorder de réparation à cause d’obstacles procéduraux39. De même, « les avocats de Dustin Lee Honken ont dénoncé les nombreux manquements relevés dans le cadre de son procès et de sa condamnation, ainsi que l’inefficacité de sa défense, qui n’a pas suffisamment informé le jury du contexte profondément dysfonctionnel dans lequel l’accusé avait grandi et de ses conséquences sur sa santé mentale. L’examen exhaustif et impartial de ces déficiences lui a ensuite été refusé lors d’une requête en habeas corpus devant une juridiction fédérale40. »

C’est précisément ce point que le juge Stephen Breyer a soulevé dans son autre jugement minoritaire : « Le cas de M. Purkey témoigne également de graves problèmes de procédure. Pour simplifier le problème, imaginez que la prestation constitutionnellement insuffisante d’un avocat compromette le procès ou la sentence d’un accusé, finalement condamné à mort. Supposez également que, dans le cadre de sa requête initiale en habeas corpus, son avocat soit lui-même inadapté car il échoue à démontrer le caractère constitutionnellement insuffisant de la défense lors du procès initial. Le condamné à mort peut-il invoquer ce problème dans une autre requête en habeas corpus, cette fois avec un meilleur avocat ? Cette possibilité est parfois envisageable lorsque la condamnation a été prononcée par une juridiction d’État, mais qu’en est-il lorsqu’une condamnation fédérale est en jeu, comme ici ? Je pense qu’il n’est pas facile de répondre à cette question. D’une part, notre code de procédure ne devrait pas permettre de remettre en cause une condamnation indéfiniment. D’autre part, est-il conforme aux principes de la justice pénale de permettre l’exécution d’un accusé dont la condamnation fait suite à une défense insuffisante au regard de la Constitution, lorsqu’aucune juridiction n’a jamais statué sur cette insuffisance41 ? »

5. BESOIN URGENT D’UN RÉEXAMEN ET D’UN MORATOIRE CONCERNANT TOUTES LES EXÉCUTIONS

Les rebondissements en amont des trois exécutions fédérales de juillet ont montré les défaillances et la nature arbitraire qui caractérisent depuis longtemps l’application de la peine de mort aux États-Unis. La poursuite cruelle de ces exécutions, y compris au moyen de reprogrammations hâtives et alors que des requêtes étaient encore en cours devant les tribunaux, révèle un mépris total de la part des autorités fédérales à l’égard des garanties internationales qui doivent être observées dans toutes les affaires où l’accusé encourt la peine de mort.

Dans son avis minoritaire rendu dans l’affaire Barr c. Purkey, le juge Stephen Breyer, rejoint par sa collègue Ruth Ginsburg, a conclu : « Les autorités fédérales ont repris les exécutions après une interruption de 17 ans, et les tout premiers cas révèlent les mêmes défaillances fondamentales que celles présentes depuis longtemps dans de nombreuses affaires jugées au niveau des États. Le fait que ces problèmes soient apparus si rapidement laisse supposer qu’ils ne sont pas le produit d’une juridiction particulière ni l’œuvre d’un tribunal, procureur ou avocat particulier, mais sont intrinsèques à ce châtiment. Un système moderne de justice pénale doit s’appliquer de manière assez précise, équitable et humaine, et dans un délai raisonnable. Notre récente expérience de la reprise des exécutions par les autorités fédérales s’ajoute aux nombreux éléments qui montraient déjà que la peine de mort n’est pas conciliable avec ces valeurs. Je reste convaincu de l’importance de réexaminer la constitutionnalité de la peine capitale elle-même. »

Amnesty International s’oppose à la peine de mort dans tous les cas et en toutes circonstances, quelles que soient la nature du crime commis, la personnalité de son auteur ou la méthode d’exécution utilisée par l’État. L’organisation considère que cette sanction viole le droit à la vie tel que reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme et constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit.

La reprise des exécutions fédérales aux États-Unis survient alors même qu’il existe une tendance dans le monde – et dans la majorité des États américains – en faveur de l’abolition de la peine de mort. En août 2020, 22 États américains avaient déjà aboli

la peine de mort, et 11 autres n’avaient procédé à aucune exécution depuis plus de 10 ans. Les chiffres enregistrés en 2019 pour les exécutions et les nouvelles condamnations à mort aux États-Unis sont les deuxièmes plus faibles depuis 28 et 46 ans, respectivement. La majorité des pays du monde a cessé de recourir à la peine de mort ; seule une petite minorité – sept États américains et 19 autres pays – a procédé à des exécutions en 2019. L’Iran, l’Arabie saoudite, l’Irak et l’Égypte étaient responsables à eux seuls de 86 % des exécutions confirmées dans le monde en 2019. Dernièrement, le gouverneur du Wyoming a déclaré envisager sérieusement d’imposer un moratoire sur la peine capitale42 ; en 2019, le gouverneur de Californie – État présentant le nombre de condamnés à mort le plus élevé du pays – a donné l’ordre officiel de suspendre toutes les exécutions et de fermer la chambre d’exécution43.

Alors que quatre autres exécutions sont programmées pour les prochaines semaines, Amnesty International exhorte le Congrès des États-Unis ainsi que les organes régionaux et internationaux à mener immédiatement une enquête indépendante et impartiale sur les événements ayant abouti aux exécutions de juillet et sur le respect des garanties à apporter à toutes les personnes condamnées à mort, conformément au droit américain et international relatif aux droits humains ainsi qu’aux normes connexes.

Par ailleurs, Amnesty International appelle :

· le Congrès des États-Unis à adopter toutes les mesures nécessaires pour abolir la peine capitale en droit pour tous les crimes et, au minimum, à commuer toutes les condamnations à mort en peines d’emprisonnement ;

· le ministère de la Justice des États-Unis à veiller à ce que toutes les exécutions prévues soient immédiatement annulées et à ce qu’aucune autre ne soit programmée.