Cameroun. Hausse des homicides dans les régions anglophones à l’approche des élections législatives

AMNESTY INTERNATIONAL

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

AILRC-FR

6 février 2020

 *  Les séparatistes armés continuent de se livrer à des enlèvements et à des homicides

 *  L’armée a incendié des dizaines de maisons, l’analyse des données de télédétection confirme plus de 50 incendies dans deux zones

 *  Au 31 décembre dernier, 679 000 personnes avaient été déplacées

L’armée du Cameroun s’est livrée à un regain de violence ces dernières semaines, qui a donné lieu à des dizaines d’homicides et contraint des milliers de personnes à quitter plusieurs zones des régions anglophones, a déclaré Amnesty International le 6 février 2020, à l’approche des élections législatives qui doivent avoir lieu dimanche 9 février.

Alors que diverses informations font état de villages entièrement rasés, l’analyse de données de télédétection réalisée par Amnesty International confirme que plus de 50 habitations ont été incendiées à Babubock et dans les villages voisins de Bangem, dans la région du Sud-Ouest, autour du 14 janvier. Ces destructions dues à l’armée, ainsi que les homicides de villageois, constituent de graves violations des droits humains.

« Les mesures de sécurité et la présence militaire renforcée annoncées par le gouvernement camerounais pour permettre le déroulement du scrutin ce week-end semblent cacher en fait une opération bien plus sinistre, a déclaré Fabien Offner, chercheur sur le lac Tchad à Amnesty International.

« Ces dernières semaines, l’armée a mené de violentes opérations, tandis que les séparatistes armés se livraient sans relâche à des exactions. Les civils se retrouvent piégés dans une spirale de violence. Les autorités doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la population et enquêter sur ces violations des droits humains et ces exactions. »

Depuis l’annonce des séparatistes armés, le 23 décembre 2019, contestant la décision d’organiser des élections, Amnesty International a recueilli des informations qui mettent en évidence de nombreux homicides illégaux perpétrés par l’armée dans les régions anglophones.

Villages détruits et homicides imputables à l’armée

Le 23 janvier, le village de Ndoh, dans la région du Sud-Ouest, a été attaqué. Selon certaines informations, la veille, un soldat avait été tué dans le secteur. Un témoin a raconté avoir vu un groupe de soldats attaquer le marché du village et se mettre à tirer sans discrimination.

Amnesty International a obtenu la confirmation que les cadavres de 14 hommes ont été retrouvés après l’attaque, ainsi que deux autres, deux jours plus tard, dans les alentours. Au moins cinq personnes ont été blessées par des tirs, dont un adolescent de 14 ans, qui a reçu une balle à l’abdomen, et un adolescent de 17 ans blessé à la cuisse.

Par ailleurs, un homme a déclaré que son fils de 30 ans a été abattu le 23 janvier, alors qu’il s’enfuyait en courant dans le bush. En janvier, plusieurs villages ont été détruits dans la région du Sud-Ouest. Amnesty International a analysé des données de télédétection qui révèlent des incendies au nord-ouest de Bangem le 14 janvier. Des images satellite du 20 janvier confirment que plus de 50 habitations à Babubock et dans les villages alentour ont été réduites en cendres lors d’une opération militaire autour du 14 janvier.

Un travailleur humanitaire a été arrêté par des militaires lourdement armés en uniforme du Bataillon d’intervention rapide (BIR), le 24 décembre 2019. Selon des témoins, il a été conduit à un poste de police et a été retrouvé mort le 2 janvier 2020 sur une route, sa dépouille présentant des marques de torture et des blessures par balles à la tête.

Les exactions des séparatistes armés

Les séparatistes armés continuent de perpétrer des crimes graves, notamment des homicides, des enlèvements et des extorsions.

Le 30 janvier, quatre employés d’une organisation humanitaire ont été enlevés par un groupe armé séparatiste, qui les a accusés de travailler pour le gouvernement. Ils ont été relâchés le lendemain, après que trois d’entre eux ont subi des coups et des tortures psychologiques, selon l’organisation. Le 15 janvier, un jeune homme a été tué et son père blessé près de Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, alors qu’ils tentaient d’éviter les postes de contrôle tenus par des séparatistes armés.

Le 3 décembre 2019, trois personnes, dont un médecin, ont été enlevées par des séparatistes armés entre le village de Bambili et la ville de Bamenda dans la région du Nord-Ouest. Les ravisseurs ont tout d’abord demandé une rançon de 5 000 euros, avant de la réduire à 100 euros. Avant de les libérer, ils leur ont bandé les yeux et ont pointé des armes sur ces personnes, qui hurlaient.

En outre, les séparatistes armés ont demandé aux employés humanitaires de cesser leurs activités durant l’opération « villes mortes » qu’ils ont ordonnée dans les régions anglophones du 6 au 11 février 2020. Seuls les services de santé d’urgence peuvent poursuivre leurs activités durant cette période.

Hausse du nombre de personnes déplacées

Les violences se sont traduites par une hausse du nombre de personnes déplacées de force. Au 31 décembre 2019, on recensait 679 000 personnes déplacées au Cameroun et 52 000 personnes réfugiées au Nigeria ayant fui les régions anglophones, selon les organisations humanitaires. Cependant, le ministre camerounais de l’Administration territoriale a nié l’existence d’une crise et affirmé en décembre 2019 que 152 000 personnes seulement avaient fui les régions anglophones.

« Depuis plus de trois ans maintenant, les habitants des régions anglophones sont pris au piège des violences opposant l’armée aux groupes armés. Les autorités chargées de protéger la population ne peuvent pas fermer les yeux sur cette crise, a déclaré Fabien Offner.

« Il est temps que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples mène à bien une mission d’établissement des faits sur toutes les allégations de violations des droits humains et d’exactions commises dans les régions anglophones depuis 2016. »

Pour en savoir plus ou organiser un entretien, veuillez contacter le Service de presse d’Amnesty International : press@amnesty.org ; ou le bureau pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale : +221 77658 62 27