Benin. Fermer une porte de Justice aux citoyens, c’est leur ouvrir des fenêtres de violence

GOUVERNANCE ET DROITS HUMAINS AU BENIN 

Déclaration des Organisations de la Société Civile relative au retrait de la déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples pour recevoir les requêtes individuelles et des organisations non gouvernementales

Il est d’un constat général qu’en Afrique, les droits humains sont abondamment consacrés mais jouissent d’une faible protection marquée par des violations récurrentes. Ce constat pose indubitablement la question de l’effectivité de la protection efficace des droits humains en Afrique.

Le peuple béninois, dans le préambule de sa Constitution en vigueur, a exprimé sa volonté de la façon suivante : 

« Exprimons notre ferme volonté de défendre et de sauvegarder notre dignité aux yeux du monde et de retrouver la place et le rôle de pionnier de la démocratie et de la défense des droits de l’Homme qui furent naguère les nôtres ; »

« Réaffirmons notre attachement aux principes de la Démocratie et des droits de         l’Homme tels qu’ils ont été définis par la charte des Nations -Unies de 1945 et la Déclaration Universelle des Droits de l’ Homme de 1948, à la charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples adoptés en 1981 par l’Organisation de l’ Unité Africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ; »

Mieux, l’article 68 garantit la non suspension des droits des citoyens même en cas de « mesures exceptionnelles exigées par les circonstances »

Enfin, l’article 147 consacre la valeur supra législative des traités ou accords régulièrement ratifiés.

Répondant à l’appel à une meilleure garantie institutionnelle des droits humains en Afrique et plus particulièrement au Bénin, les Organisations de la Société Civile ont tôt fait de diriger des actions de plaidoyer envers les titulaires du pouvoir de décision, les autorités étatiques. Ainsi, depuis 2014 au Bénin, elles s’y sont évertuées pour la concrétisation d’une accessibilité des individus et ONG à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Cet engagement a porté ses fruits avec la ratification du Protocole de Ouagadougou portant création de ladite Cour et le dépôt de la déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour prévue à l’article 34.6 dudit Protocole le 08 février 2016.

Fruit de ce résultat significatif, les requêtes provenant de citoyens béninois ont pu être reçues et traitées par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples avec des décisions rendues à l’actif.

 C’est avec responsabilité et inquiétude que la société civile a pris connaissance de la décision de l’Etat béninois de retirer sa déclaration de reconnaissance de compétence de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en faveur des requêtes des individus et des ONG.

Aux dires du Ministre de la Justice et de la Législation[1], Garde des Sceaux, « … C’est justement la réitération et la récurrence de ces dérapages qu’il n’est pas possible de sanctionner et que la Cour elle-même ne donne pas l’air de vouloir corriger en dépit des remous qu’ils provoquent en son propre sein  qui ont amené notre pays à initier dans le courant du mois de mars dernier son désengagement de la compétence individuelle, objet d’une double notification dès le 16 mars 2020  au Président en exercice de l’Union Africaine et au Président de la Commission de l’Union en tant que dépositaire des instruments juridiques ».

L’autorité ministérielle précisera que « Ce sont ces considérations qui ont donc amené le Gouvernement de la République du Bénin à prendre la décision de désengagement pour ce qui concerne la compétence de la Cour relativement aux requêtes individuelles et des ONG ».

Il apparait évident que c’est pour consolider l’Etat de droit qu’il a été dégagé comme indispensable pour les individus et ONG, la détention du droit de saisir la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Il est également d’une évidence que priver les individus et ONG ainsi que les praticiens du droit de cette ouverture juridictionnelle régionale est une entorse portée à l’Etat de droit car nul n’est à l’abri d’un abus du droit dans son propre pays. Mieux, fermer ainsi les portes juridictionnelles aux citoyens pour la reconnaissance de leurs droits, c’est les pousser à opter pour d’autres formes de protestation dont la violence.

Considérant les motivations susmentionnées du Garde des Sceaux, il revient au Gouvernement béninois d’exercer d’une part ses prérogatives dans le cadre de l’article 35-1 du Protocole créant la Cour qui donne la possibilité aux Etats parties de porter des amendements pour améliorer l’activité du mécanisme et d’autre part, ses privilèges d’influence politique au sein des instances de l’Union Africaine habilitées pour connaitre du rapport d’activités de ladite Cour afin de se faire entendre et contribuer au mieux au renforcement de cette Institution indispensable pour la construction d’une Afrique où règne la démocratie avec un respect scrupuleux des droits humains et des peuples.

L’option de retrait prise par l’Etat béninois et justifiée dans la déclaration du Garde des Sceaux apparait à la perception de la société civile comme un recul tant au niveau national que régional où le Bénin, depuis trente (30) ans, a construit une réputation de modèle démocratique et d’Etat de droit.

En tout état de cause, la société civile demeure convaincue de l’efficacité de la diplomatie béninoise pour dialoguer au mieux avec le dépositaire de l’instrument querellé en vue d’une solution à la crise sans remettre en cause les acquis issus de l’article 34.6 du Protocole de Ouagadougou. C’est dans cette optique que les Organisations de la Société Civile, signataires de la présente déclaration, ont sollicité et obtenu une audience avec le Cabinet du Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération le mardi 05 mai 2020. Ce faisant, la société civile :

  • réaffirme son attachement à un Bénin où l’Etat de droit fait bon vivre dans son interprétation holistique ;
  • exhorte l’Etat béninois à revenir sur sa décision avant qu’elle ne soit irréversible à l’échéance du 25 mars 2021 ;
  • s’engage à poursuivre le plaidoyer aux fins ;
  • appelle à une mobilisation générale des forces vives de la Nation pour accompagner de façon constructive le Gouvernement dans ce processus de résolution de la présente crise tant au  niveau national que régional

Fait à Cotonou le 07 mai 2020

Ont signé :

Amnesty International Bénin, Coalition des Défenseurs des Droits Humains – Bénin (CDDH-Bénin), West African Network for Peacebulding – Bénin (WANEP- Bénin), Association de Lutte Contre le Racisme, l’Ethnocentrisme et le Régionalisme (ALCRER), Front des Organisations Nationales contre la Corruption (FONAC), Social Watch Bénin, Changement Social Bénin (CSB) (Point focal Bénin de la Coalition pour une Cour Africaine Efficace)

[1] tirées de la déclaration du Ministre de la Justice et de la Législation reprise par les journaux en date du 28 avril 2020 notamment dans le quotidien ‘’ Le Matinal ’’ n°5819