- Recours à une force excessive par les forces de sécurité contre des journalistes
- Des tensions politiques et ethniques menacent les médias
- Une lueur d’espoir dans certains pays
Partout en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, des journalistes sont la cible de manœuvres d’intimidation et de harcèlement, ainsi que d’arrestations et d’agressions, alors qu’ils ne font que leur travail et il est fréquent que des médias soient contraints à fermer et que l’accès à Internet, dont les journalistes dépendent pour mener leurs activités, soit coupé, a déclaré Amnesty International à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, en appelant les États de la région à promouvoir la liberté de la presse et à protéger les médias et leurs collaborateurs.
L’organisation a ajouté que, bien que les attaques visant des journalistes aient atteint un niveau alarmant et que plusieurs publications aient été stoppées dans certains pays de la région, une lueur d’espoir demeurait.
« Du Liberia au Togo, l’offensive contre les journalistes est toujours aussi intense ; des professionnels des médias sont arrêtés arbitrairement et agressés alors qu’ils couvrent des manifestations ou exercent autrement leur droit à la liberté d’expression, a déclaré Samira Daoud, directrice adjointe du programme Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à Amnesty International.
« Cependant, il existe aussi des signes positifs, comme la libération du journaliste Ahmed Abba, qui avait été condamné à mort au Cameroun, et la réforme des lois répressives encadrant les médias par le nouveau gouvernement gambien. »
Menaces visant les médias
Au Liberia, les menaces visant des journalistes sont courantes. Selon les informations recueillies par Amnesty International, Tyron Brown, journaliste, cameraman et monteur vidéo pour une station de radio et une chaîne de télévision locales, a été retrouvé mort le 16 avril à Monrovia, la capitale.
Son corps a été déposé à son domicile par un groupe d’hommes circulant dans un véhicule ; son téléphone portable était intact et son argent n’avait pas été volé. Les autorités ont diligenté une enquête sur sa mort et plusieurs suspects ont été arrêtés, mais aucun n’a été inculpé pour l’instant.
Jonathan Paye-Layleh, correspondant local de la BBC, a fui le pays de crainte de subir les représailles de sympathisants du nouveau président George Weah, qui l’a accusé en conférence de presse de remettre en cause la lutte en faveur des droits humains qu’il avait menée pendant la guerre civile.
Recours à une force excessive et harcèlement par les forces de sécurité
Au Niger et en Côte d’Ivoire, des journalistes sont régulièrement pris pour cible par les forces de sécurité alors qu’ils ne font que leur travail ou parce qu’ils critiquent les autorités.
En mars, le journaliste et blogueur ivoirien Daouda Coulibaly a été agressé et arrêté par la police au moment où il couvrait une manifestation de l’opposition. Il a reçu des coups de matraque au genou et a été traîné sur le sol. Par la suite, le poste de police a refusé d’enregistrer sa plainte.
En avril, les forces de sécurité ont empêché par deux fois la journaliste et blogueuse Samira Sabou de couvrir une manifestation au Niger ; la police a saisi son matériel, sa carte de presse et son téléphone, avant de les lui restituer.
Le 3 avril au Niger, le célèbre journaliste Baba Alpha a été informé, juste au moment où il devait être libéré de prison, qu’il était déchu de sa nationalité nigérienne et allait être expulsé vers le Mali. Il a été escorté jusqu’à la frontière malienne, sans être autorisé à contacter son épouse ni le reste de sa famille.
L’escalade de la violence politique menace aussi les journalistes et les médias dans certains pays de la région. La situation de la liberté de la presse s’est considérablement dégradée en Guinée, où plusieurs journalistes ont été arrêtés et des publications, suspendues.
Le 30 octobre 2017, quatre journalistes de Gangan TV ont été arrêtés par les gendarmes à Matam, un quartier de Conakry, et accusés de diffusion de fausses informations et d’outrage au chef de l’État parce qu’ils auraient propagé des rumeurs annonçant le décès de celui-ci. Trois d’entre eux ont été relâchés quelques heures plus tard et le quatrième, le lendemain. Au moins 18 journalistes qui s’étaient rassemblés à la gendarmerie de Matam en solidarité avec leurs confrères ont été roués de coups par des membres de forces de sécurité, qui ont également détruit leur matériel.
Toujours en Guinée, en mars 2018, des groupes de manifestants ont attaqué les locaux de Hadafo Médias, un groupe comprenant deux stations de radio (Espace et Sweet FM) et une chaîne de télévision (Espace TV).
Coupures de l’accès à Internet
Dans toute la région, les coupures de l’accès à Internet sont en train de devenir une pratique courante, qui sert à entraver les activités des journalistes, notamment au Cameroun, au Tchad et au Togo.
Pendant neuf jours en septembre 2017, les autorités togolaises ont bloqué l’accès à Internet alors que se tenaient des manifestations conduites par l’opposition. Cette mesure a perturbé le déroulement de ces manifestations et entravé le travail des militants des droits humains et des journalistes qui suivaient l’évolution du mouvement de contestation.
Un code de la presse à la formulation floue
Amnesty International a signalé que le nouveau Code de la presse sénégalais, adopté en juin 2017, contenait des dispositions formulées de manière floue, qui permettent aux autorités de mettre en cause des journalistes pour des infractions liées à leur travail.
Ainsi, le Code habilite les autorités à ordonner la saisie de matériel utilisé pour publier ou diffuser des informations, à suspendre ou arrêter un programme télévisuel ou radiophonique et à fermer temporairement un média pour des raisons de sécurité nationale ou de protection de l’intégrité territoriale qui sont définies de façon excessivement large. Il leur donne aussi le pouvoir d’interdire des journaux et périodiques étrangers.
Une lueur d’espoir
Malgré ces faits troublants, on observe des signes de progrès dans certains pays de la région.
En Gambie, le nouveau gouvernement s’est engagé à réformer plusieurs lois répressives encadrant les médias, ce qui a incité des journalistes qui s’étaient exilés du fait du harcèlement, des manœuvres d’intimidation ou des menaces d’emprisonnement dont ils faisaient l’objet à rentrer dans le pays.
En outre, un tribunal régional a statué que les lois gambiennes relatives à la sédition, à la diffusion de fausses informations et à la diffamation bafouaient le droit à la liberté d’expression, et les autorités ont déclaré qu’elles respecteraient ce jugement.
La libération, en décembre 2017, du journaliste de RFI Ahmed Abba, qui avait été condamné à mort au Cameroun, a été une autre mesure encourageante ; néanmoins, cet homme n’aurait jamais dû être arrêté.
« De nombreux journalistes font un travail essentiel de promotion des droits humains en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, souvent dans des conditions difficiles. Les autorités de la région se doivent de veiller à ce que les médias puissent mener leurs activités librement, sans craindre d’être attaqués ou menacés », a déclaré Samira Daoud.