AMNESTY INTERNATIONAL
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
AILRC-FR
Des porte-parole d’Amnesty International sont disponibles pour répondre aux questions des médias
Le président de la République démocratique du Congo Félix Tshisekedi a renié les promesses faites lors de son investiture de renforcer l’État de droit, de lutter contre l’impunité et de garantir la justice, laissant dans le désespoir des centaines de familles dont des membres ont été tués lors de la crise préélectorale qu’a connue le pays, a déclaré Amnesty International le 16 juin 2020.
Le président Félix Tshisekedi a prêté serment le 24 janvier 2019 après avoir été déclaré vainqueur des élections qui se sont tenues le 30 décembre 2018 après deux ans de retard. Après neuf mois de présidence, il a déclaré qu’il ne voulait pas « fouiner dans le passé ». Depuis lors, il n’a rien fait pour que des enquêtes soient menées sur la mort d’au moins 320 personnes tuées lors des manifestations survenues entre 2015 et 2018.
« Le président Félix Tshisekedi et son gouvernement doivent reconnaître la douleur qu’endurent les victimes et leurs familles et s’engager publiquement à poursuivre efficacement et dans les plus brefs délais les responsables présumés de ces actes », a déclaré Deprose Muchena, directeur du bureau régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe d’Amnesty International.
Dans un nouveau rapport intitulé République démocratique du Congo. Sans suite ! Pas de justice pour les victimes de la répression brutale de 2015-2018, Amnesty International fait état de 115 entretiens qu’elle a réalisés auprès de rescapés et de membres des familles des victimes sur leur quête de justice. Beaucoup d’entre eux ont exprimé leurs frustrations face à l’inertie des autorités à mener des enquêtes et à poursuivre les auteurs présumés.
« Quand il était encore un opposant, Félix Tshisekedi est venu nous voir et m’a dit : “Nous serons toujours là pour vous.” Mais depuis qu’il est devenu président, il n’a donné aucun signe… Ceux qui ont tué papa doivent être poursuivis et punis », a déclaré Kelly Tshimanga, un jeune homme de 15 ans, dont le père Rossy Mukendi Tshimanga est mort après avoir été atteint à l’estomac par une balle tirée par la police sur les lieux de l’église catholique Saint Benoît à Kinshasa le 25 février 2018.
Une justice hors de portée
Plusieurs familles ont déclaré à Amnesty International que l’absence d’enquête face aux plaintes qui avaient été déposées les a découragées de demander justice. D’autres ont indiqué qu’elles avaient peur de saisir la justice par crainte de représailles. Certaines d’entre elles considèrent la justice comme un luxe réservé aux riches.
La mère d’une autre victime tuée par des militaires de la Garde républicaine le 19 décembre 2016 a déclaré : « Les soldats qui ont tué mon fils sont connus de tous dans le quartier. Ils sont armés et font ce qu’ils veulent. Si je devais porter plainte contre eux, cela serait un suicide pour moi et mes enfants. J’ai déjà perdu un fils. Je ne veux pas qu’il y ait d’autres morts dans ma famille. »
Boweya Ntando, âgé de 46 ans, est mort des suites d’une blessure à la tête par balle le 20 septembre 2016. Sa soeur, Molela Mowaki, est une vendeuse de poisson. Elle s’occupe désormais des 12 enfants de son frère, en plus de ses six propres enfants. Elle a déclaré : « Je ne connais rien aux affaires publiques et je n’ai personne pour m’aider. Même si je savais comment faire, où est-ce que je trouverais l’argent pour payer un avocat alors que j’ai déjà du mal à m’occuper des enfants ? La justice n’est-elle pas un droit garanti pour toutes les victimes ? »
Les autorités ont payé les frais d’obsèques de certaines victimes, puis elles ont harcelé leurs familles qui tentaient d’obtenir justice. Thérèse Kapangala, une aspirante religieuse, a été abattue dans l’église catholique Saint François de Sales à Kinshasa. Sa famille est déterminée à obtenir justice et a refusé de recevoir de l’argent de la part des autorités.
« L’État ne nous a toujours pas dit qui a tué notre fille, pourquoi elle a été tuée et de qui provenait l’ordre de tirer sur les fidèles. Au lieu de cela, il veut se moquer de nous, à moins qu’il ne cherche à acheter notre silence ? Le sang de notre fille n’a pas de prix. Je sais que nous prenons beaucoup de risques en demandant que justice soit rendue pour Thérèse. Mais nous lui devons bien. Ceux qui versent le sang doivent savoir qu’il y a un prix élevé à payer », a déclaré le prêtre Joseph Musubao, l’oncle de Thérèse.
Des enquêtes grotesques
Sous la pression internationale, l’ancien président Joseph Kabila a mis en place trois comités chargés d’enquêter sur la répression meurtrière à l’encontre de manifestants. Toutefois, aucune des investigations menées n’a donné lieu à des poursuites judiciaires.
Le premier comité établi en 2016 a enquêté sur les manifestations violentes qui ont secoué le pays du 19 au 21 septembre 2016 après que la commission électorale s’est abstenue de fixer une date pour les élections attendues avec impatience. Au cours de ces événements, au moins 49 personnes ont été tuées. Son rapport énumère les dégâts causés aux bâtiments, affirmant que les manifestants tués étaient des pillards. Il n’a pas évoqué le recours à la force meurtrière par les forces de sécurité.
« La RDC est régie par la loi et elle est un pays signataire des instruments internationaux relatifs aux droits humains qui interdisent strictement les exécutions extrajudiciaires et le recours à la force excessive par les forces de sécurité. Toutes les personnes soupçonnées d’avoir commis des homicides illégaux doivent être arrêtées, inculpées et jugées lors d’un procès équitable sans possibilité de recours à la peine de mort. Elles doivent être amenées à rendre des comptes pour leurs crimes », a déclaré Deprose Muchena.
Un deuxième comité a été mis sur pied en février 2018 pour enquêter sur le recours à la force meurtrière contre des manifestants les 31 décembre 2017 et 21 janvier 2018. Ce comité a recommandé que les agents des forces de sécurité qui ont ordonné l’utilisation de la force excessive ou qui l’ont utilisée contre des manifestants soient traduits en justice. En avril 2018, six organisations de défense des droits humains faisant partie du comité ont suspendu leur participation un mois après la publication du rapport en raison des réticences du gouvernement à mettre en œuvre leurs recommandations.
« La justice et les enquêtes ne sont qu’une farce. C’est un exercice de relations publiques pour essayer d’endormir la population », a déclaré Jean-Claude Tabu, prêtre de la paroisse Saint Benoît.
Un troisième comité a été mis en place en juin 2018 pour enquêter à nouveau sur les homicides de manifestants survenus en septembre et décembre 2016. Ce comité n’a jamais mené son travail à son terme. Des personnes bien informées ont raconté que des agents des forces de sécurité ont carrément ignoré les convocations, le travail ayant finalement été bloqué lorsque la ministre concernée est partie en campagne électorale.
« Les demandes de justice par les victimes et leurs familles pour les violations des droits humains ne peuvent pas être considérées comme des tracas qu’on peut éluder. Le président Félix Tshisekedi doit reconnaître leur souffrance et rompre avec l’impunité qui prévalait dans le passé afin de garantir que justice soit rendue », a déclaré Deprose Muchena.
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