Monde. Un site d’enquête mis à jour à la suite de nouvelles preuves d’utilisations abusives du gaz lacrymogène par la police ayant entraîné des décès et des blessures lors de manifestations

Lundi 1er février, Amnesty International a rendu publics de nouveaux éléments pointant l’utilisation abusive du gaz lacrymogène par les forces de sécurité dans plusieurs pays au cours du second semestre 2020, notamment lors des manifestations au moment des élections en Ouganda, de celles du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis et de la répression de la contestation au Liban.

Le site Web interactif créé par l’organisation pour enquêter sur ces faits, baptisé Tear Gas: An Investigation, vient d’être mis à jour afin d’intégrer de nouveaux cas de violations des droits humains commises par des policiers contre des manifestant·e·s pacifiques dans le monde.

Depuis son lancement en juin 2020, Amnesty International a vérifié des cas récents de recours inconsidéré au gaz lacrymogène dans plusieurs pays, parmi lesquels la France, le Guatemala, l’Inde, le Mali, le Nigeria, le Pérou, la Serbie et la Tunisie.

« L’utilisation abusive du gaz lacrymogène par les forces de police qui persiste à travers le monde est irresponsable et dangereuse, car il arrive souvent qu’elle blesse et même parfois qu’elle tue des personnes manifestant pacifiquement, a déclaré Patrick Wilcken, directeur adjoint du programme Thématiques mondiales d’Amnesty International.

« Notre dernière analyse en date montre une nouvelle fois que les forces de sécurité continuent d’utiliser massivement à mauvais escient cette arme à létalité réduite. Bien trop souvent en 2020, des manifestant·e·s pacifiques se sont heurtés à la violence, y compris à un recours généralisé et illégal au gaz lacrymogène, qui peut s’apparenter à la torture et aux autres mauvais traitements dans certaines circonstances.

« Nous appelons à nouveau les autorités de tous les pays à respecter le droit de manifester pacifiquement et à exiger que les responsables de l’utilisation illégale du gaz lacrymogène contre des personnes exerçant ce droit rendent des comptes. »

La mise à jour du site comprend 27 nouveaux cas, dans 12 pays, où le gaz lacrymogène a été mal utilisé. Pour chaque cas, des enquêteurs s’appuyant sur des informations en libre accès ont vérifié le lieu et la date et évalué la légalité de l’utilisation. Au total, le site comporte désormais des vidéos de plus de 100 cas d’utilisation abusive du gaz lacrymogène, dans 31 pays et territoires.

Mauvaise utilisation entraînant des décès et des blessures

En Ouganda, les autorités ont réagi aux troubles politiques faisant suite aux élections controversées par un blocage de l’accès à Internet et une répression marquée par des homicides, des passages à tabac et la dispersion violente de partisans de l’opposition, y compris à l’aide de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc.

Au Liban, des manifestants sont descendus dans la rue après l’explosion dévastatrice qui a eu lieu dans le port de Beyrouth en août 2020, dans laquelle au moins 204 personnes ont été tuées. Au cours des manifestations contre la réponse du gouvernement à cet catastrophe, les forces de sécurité libanaises ont à plusieurs reprises fait un usage dangereux et illégal de la force pour tenter de les contrôler, notamment en utilisant du gaz lacrymogène de manière excessive.

Au Nigeria, les manifestations du mouvement #EndSars ont débuté en octobre 2020. Les participant·e·s réclamaient la fin des violences policières, des exécutions extrajudiciaires et des extorsions commises par la Brigade spéciale de répression des vols (SARS), une unité de la police nigériane chargée de la lutte contre les crimes violents. L’armée et la police ont eu recours à la force illégalement, y compris en tirant des grenades lacrymogènes, et au moins 12 manifestant·e·s pacifiques auraient été tués lorsque des militaires ont ouvert le feu sur des milliers de personnes rassemblées au péage de Lekki.

Dans des dizaines de villes des États-Unis, différents organes de maintien de l’ordre ont visé des manifestant·e·s pacifiques du mouvement Black Lives Matter avec des tirs de gaz lacrymogène et d’autres agents de contrôle des foules. Des exemples similaires d’utilisation abusive du gaz lacrymogène lors de manifestations ont été constatés en Indonésie, au Pérou et au Guatemala.

Enquête sur la base de données en accès libre

Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International a commencé à mener des recherches sur l’utilisation abusive du gaz lacrymogène à travers le monde en 2019, principalement en examinant des vidéos publiées sur des plateformes de réseaux sociaux.

En employant des méthodes d’investigation à partir d’informations disponibles en accès libre, l’organisation a vérifié et mis en avant des cas d’utilisation abusive du gaz lacrymogène. Cette analyse a été effectuée par le Service de vérification numérique d’Amnesty International, qui est un réseau de personnes étudiant dans sept universités sur quatre continents qui ont reçu une formation pour vérifier l’origine et la fiabilité de contenus publiés sur les réseaux sociaux.

Le site comprend notamment une vidéo réalisée en collaboration avec SITU Research présentant les caractéristiques du gaz lacrymogène, expliquant le fonctionnement interne des munitions et montrant que leur mauvaise utilisation peut infliger des blessures et tuer.

Amnesty International a relevé des usages inconsidérés du gaz lacrymogène par la police, qui prennent de multiples formes : tirs dans des espaces confinés, tirs en direction de personnes, utilisation de quantités excessives, tirs dans des manifestations pacifiques, et tirs contre des groupes où se trouvent des personnes dont les capacités pour s’enfuir sont réduites ou qui sont plus sensibles que les autres aux effets du gaz, telles que les enfants, les personnes âgées et celles atteintes d’un handicap.

Un commerce peu règlementé

Bien qu’il soit largement utilisé de façon abusive, il n’existe pas de règlementation au niveau international sur le commerce du gaz lacrymogène et des autres produits chimiques irritants. Rares sont les États qui rendent publiques des informations sur les destinataires de leurs exportations de gaz lacrymogène et sur les quantités exportées, ce qui empêche de contrôler la situation de façon indépendante.

Amnesty International et la Fondation de recherche Omega mènent campagne depuis plus de 20 ans pour que la fabrication, le commerce et l’utilisation du gaz lacrymogène et d’autres types d’équipements et d’armes destinés au maintien de l’ordre soient mieux contrôlés. Grâce à ce travail de campagne, l’ONU et des organes régionaux tels que l’Union européenne (UE) et le Conseil de l’Europe ont reconnu la nécessité de réglementer l’exportation de ces articles.

Les initiatives diplomatiques de haut niveau menées par les plus de 60 États de l’Alliance pour un commerce sans torture, avec le soutien d’Amnesty International et d’Omega, ont conduit l’ONU à étudier la possibilité de mettre en place un système de contrôle du commerce international des équipements et armes destinés au maintien de l’ordre, ainsi que d’autres produits, afin d’empêcher qu’ils ne soient utilisés pour commettre des actes de torture et d’autres mauvais traitements et pour infliger la peine de mort. Amnesty International et Omega insistent actuellement pour que ces mesures incluent le gaz lacrymogène et d’autres substances chimiques irritantes.