Si le monde s’enorgueillit de prestigieux événements sportifs, rares sont ceux qui peuvent rivaliser avec la Coupe du monde de football. Dès le 14 juin, des milliards de spectateurs regarderont 32 équipes nationales s’affronter dans 11 villes à travers la Russie pour avoir l’honneur de brandir le trophée à Moscou.
C’est la première fois dans l’histoire de la Coupe du monde que la FIFA (Fédération internationale de football association), qui organise l’événement, accorde à la Russie le privilège d’accueillir l’une des compétitions sportives les plus suivies au monde.
Cependant, la situation des droits humains est en chute libre en Russie depuis quelques années et il est donc impossible d’ignorer les violations endémiques perpétrées dans le pays hôte de la 21e édition de la Coupe du monde de la FIFA.
En accordant à la Russie le droit d’accueillir la Coupe du monde sans appliquer de véritable diligence requise en matière de droits humains, la FIFA a marqué un but contre son propre camp dont elle a bien du mal à se remettre. Afin de comprendre pourquoi, il suffit d’observer les violations et atteintes aux droits humains que le gouvernement de Vladimir Poutine va tenter d’escamoter sous couvert du Mondial.
Des défenseurs attaqués
Si la situation des droits humains en Russie est trop vaste pour être abordée ici en détail, l’une des principales préoccupations mises en avant par Amnesty International concerne le harcèlement constant, l’intimidation, les agressions physiques et les arrestations arbitraires visant les personnes qui s’efforcent de défendre les droits humains.
En 2017, le militant écologiste Andreï Roudomakha a été violemment attaqué par des agresseurs non identifiés pour avoir dénoncé des travaux de construction illégaux sur les rives de la mer Noire. Ses agresseurs sont toujours en liberté. Igor Nagavkine a passé plus d’un an et demi en détention provisoire pour des accusations sans fondement en lien avec son travail sur la défense des droits des prisonniers et la lutte contre la torture et la corruption. Quant à Oyoub Titiev, il est détenu depuis près de six mois pour des accusations forgées de toutes pièces, parce qu’il vient en aide aux victimes de violations des droits humains en Tchétchénie.
Loin d’être une exception, leur histoire s’inscrit dans une pratique répandue et cohérente de répressions visant toute forme de contestation ou de dissidence. Comme le révèle le dernier rapport d’Amnesty International, le droit à la liberté de réunion est de plus en plus restreint en Russie, la Coupe du monde servant dans certains cas de prétexte.
En fait, depuis que la Russie a été choisie pour accueillir la Coupe du monde fin 2010, on note un net déclin au niveau de la sécurité des défenseurs des droits humains dans le pays : les bureaux et le personnel des ONG sont la cible d’agressions et font l’objet de nouvelles restrictions quant à leurs activités.
Et il faut encore citer l’usage de la torture, les graves violations des droits humains qui perdurent dans le Caucase du Nord, la loi relative à la propagande utilisée pour persécuter et stigmatiser les personnes LGBTI, la chasse aux sorcières contre les homosexuels en Tchétchénie, la dépénalisation des violences domestiques, le harcèlement des journalistes et l’utilisation par la Russie de son droit de veto pour bloquer les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Syrie.
La FIFA prend en compte les droits humains
S’il est clair que les autorités font tout ce qui est en leur pouvoir pour faire de la Russie un trou noir en matière de droits humains, la question demeure : que fait la FIFA pour interpeller le pays hôte sur cette question, mais aussi pour améliorer son propre bilan en la matière ?
Des années durant, elle a rejeté l’idée qu’elle puisse avoir une véritable responsabilité à l’égard des droits des personnes concernées par ses événements, qu’il s’agisse des ouvriers construisant des stades et des infrastructures, des manifestants devant les stades ou encore des habitants de secteurs évacués pour permettre la construction de nouvelles installations.
Après plusieurs scandales de corruption et des rapports d’Amnesty International et Human Rights Watch rendant compte des graves atteintes au droit du travail et des conditions dangereuses pour les travailleurs migrants qui construisent les stades et les infrastructures pour les coupes du monde Russie 2018 et Qatar 2022, l’instance sportive a enfin commencé à changer de refrain.
En 2016, la FIFA a ajouté une clause relative aux droits humains à ses statuts qui dispose : « La FIFA s’engage à respecter tous les droits de l’homme internationalement reconnus et elle mettra tout en œuvre pour promouvoir la protection de ces droits ». Le nouveau président Gianni Infantino a insisté sur le fait que la FIFA « doit user de son influence pour lutter contre [ces] risques en matière de droits humains avec la même détermination que lorsqu’elle poursuit ses intérêts commerciaux. »
La FIFA a mis en place un Conseil consultatif indépendant en matière de droits humains et, en 2017, elle a adopté une politique respectueuse des droits humains – et c’est l’une des rares fédérations sportives à l’avoir fait. Elle a également rejoint une coalition rassemblant de nombreux acteurs autour de la création d’un Centre pour le sport et les droits de l’homme indépendant.
Une compétition magnifique ternie par des atteintes aux droits humains
Au regard des actions de l’État russe durant les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014 – marqués par des arrestations quasi quotidiennes et des passages à tabac de manifestants – la Coupe du monde risque fort de donner lieu à une nouvelle vague de répression.
Durant les Jeux de Sotchi, le Comité international olympique (CIO) a effectivement fermé les yeux sur les répressions visant la liberté d’association et de réunion, notamment sur les faits répétés de passages à tabac, d’interrogatoires et de harcèlement visant les manifestants, et sur la surveillance poussée des journalistes.
Afin de ne pas répéter ces erreurs, deux semaines avant l’ouverture de la Coupe du monde 2018 en Russie, la FIFA a mis sur pied un mécanisme de traitement des plaintes permettant aux défenseurs des droits humains et aux professionnels des médias de signaler toute violation des droits et elle s’est engagée à soutenir les défenseurs des droits humains et la liberté de la presse dans le cadre de ses activités.
Établir un cadre pour faire face aux risques en termes de droits humains associés à l’événement est une mesure importante. Mais ce n’est qu’un premier pas. Le bilan de la FIFA en matière de droits humains sera jugé à l’aune de ses actions. Le Conseil consultatif des droits de l’homme de la FIFA note que des avancées ont été faites pour traiter les cas exposés par des associations de défense des droits humains, tout en soulignant que « cette démarche engagée devrait être l’option par défaut dans tous les futurs cas de menaces visant des défenseurs des droits humains en lien avec les activités de la FIFA ».
Si la FIFA rattrape son retard pour faire face aux principaux défis en matière de droits humains que représente forcément une Coupe du monde en Russie, les autorités russes n’hésitent pas à bafouer les droits humains sous les feux des projecteurs du monde entier. Aussi la FIFA aura-t-elle du pain sur la planche.
Le président Gianni Infantino a promis que la Coupe du monde en Russie sera une « fête du football » ; il doit se tenir prêt à user de toute son influence pour que le président Vladimir Poutine ne vienne pas gâcher la fête.
La campagne d’Amnesty International, baptisée L’équipe des défenseurs, met en lumière le parcours de 11 militants dans différentes régions de la Russie qui sont persécutés parce qu’ils défendent les droits humains. Pour en savoir plus sur cette campagne et savoir comment témoigner votre solidarité aux défenseurs en Russie, veuillez cliquer ici : http://teambrave.ru/eng/