L’État béninois doit garantir le droit à un logement alternatif adéquat aux victimes des expulsions forcées et le respect de leurs droits économiques, sociaux et culturels.
L’accès à un toit et aux services sociaux de base sont primordiaux pour le respect des droits fondamentaux des individus.
DE COTONOU À OUIDAH
Au-moins 6 000 personnes sont victimes des expulsions forcées liées aux projets de mise en valeur du littoral entre Cotonou et Ouidah.
Certains d’entre eux- dorment toujours à la belle étoile, la plupart vivent dans des conditions précaires sans eau potable, électricité ou assainissement.
Les conditions de vie et/ou de travail de victimes d’expulsion forcée se sont fortement dégradées, les liens sociaux se sont distendus, de même que le lien d’attachement avec un environnement culturel disparu.
À Cotonou, les autorités ont mis en œuvre un projet de plantation de cocotiers le long du littoral. Pour sa réalisation, le quartier Fiyégnon 1 – qui se trouve en première ligne face à l’océan – a été détruit le 13 septembre 2021.
1 623 ménages représentant plus de 3 000 habitants ont été expulsés sans aucune forme de dédommagement pour la perte de leur logement, de leurs biens avec des conséquences économiques et sociales dramatiques.
Le préfet du département du Littoral a déclaré au sujet des habitants de Fiyégnon 1 que les autorités n’avaient pas l’obligation de les reloger, ces derniers occupant illégalement l’espace.
Pourtant, selon les Principes de base et directives des Nations unies concernant les expulsions et les déplacements liés au développement, « toutes les personnes expulsées, qu’elles détiennent ou non un titre de propriété, devraient avoir droit à une indemnisation pour la perte, la récupération et le transport des biens concernés, en particulier leur logement d’origine et les terres perdues ou endommagées au cours de l’opération » (Principe 61).
Une route des pêches sans pêcheurs ?
Les expulsions forcées ont durablement perturbé la pratique de la pêche par les habitants de plusieurs quartiers et villages installés le long du littoral, pour qui elle représentait la principale source de revenus et d’alimentation depuis plusieurs générations.
Théophile a abandonné la pêche : « Depuis la destruction du quartier ma pirogue est là sur le sable, cassée. Les filets sont à la maison dans des sacs, parce qu’il n’y a plus assez de gens pour aller à la pêche alors qu’on vivait de ça. »
Tout comme lui, Blaise, 59 ans, a changé de métier : « Je faisais la pêche et j’allais au port. Parfois, on pouvait avoir 40 mille si la pêche est bonne. Maintenant je fais du gardiennage je travaille de 19h à 7h et après je n’arrive pas à dormir dans la journée tellement la chambre que je loue est petite alors qu’avant je vivais avec cinq membres de ma famille dans le logement de six chambres que j’avais construit. »
L’État béninois doit mettre en place un plan concerté avec les pêcheurs du littoral pour leur permettre de continuer leur activité dans des conditions adéquates et respectueuse de leurs droits économiques, sociaux et culturels.
PRÉCARITÉ ET APPrauvrissement
Au-delà de la situation des pêcheurs, les expulsions ont eu de graves conséquences sur le travail des personnes affectées entrainant des entraves à la jouissance de leurs droits économiques et sociaux et une paupérisation.
Pour la réalisation d’un projet de rénovation et de modernisation du Centre administratif et commercial, la destruction du quartier Xwlacodji (Cotonou) a été effectuée le 18 octobre 2021. Les autorités ont déclaré avoir identifié « 368 ménages à dédommager » ce qui représente probablement plusieurs milliers de personnes. Les habitants expulsés de Xwlacodji ont été relogés à Djeffa, dans la commune de Sèmè-Podji (département de la Ouémé), à une trentaine de minutes de Xwlacodji en voiture, soit environ 3h30 de marche.
Certains ont fait le choix de s’installer au port afin de ne pas perdre du temps et de l’argent en faisant quotidiennement le trajet de Djeffa jusqu’au port (environ 20km).
D’autres se sont installés à l’école primaire publique de Xwlacodji qui n’a pas été détruite durant les expulsions.
Ils nous ont déguerpis d’un seul coup, et ils ont donné des terrains [à tout le monde] sur l’alignement où j’habitais, sauf à moi. Je suis le seul qui n’a pas encore reçu un terrain ni de dédommagement, et je ne sais pas pourquoi. Je veux ce que les autres ont eu. Je vis dans cette école, c’est ma femme qui me nourrit tous les soirs.
Jean-Baptiste Bogolo, 75 ans, à l’école primaire publique de Xwlacodji.
Justin a perdu son élevage de lapins du fait de son expulsion de Djègbadji pour le projet de Marina à Ouidah, entrainant la fragilisation de sa situation économique :
« Je pouvais gagner 150 000 francs CFA (environ 230€) par mois grâce à mon élevage. J’ai perdu mon emploi, ma femme m’a quitté, elle est retournée chez ses parents. J’ai tout perdu. Maintenant je suis conducteur de taxi-moto. Je gagne ce que la journée donne en fonction des clients. Parfois, je rentre à la maison les mains vides. »
Les autorités béninoises doivent garantir une aide à la reprise des activités et à l’accès à des sources de revenus aux personnes victimes d’expulsions forcées.
LA PERTE DU PATRIMOINE CULTUREL
Tout ou partie du patrimoine culturel de certains quartiers ou villages détruits a été perdu ou risque de l’être, selon plusieurs témoignages de personnes expulsées recueillis par Amnesty International. Il s’agit notamment de fétiches vodoun (qui peuvent prendre la forme de sculptures ou de statuette, d’amas de terre et de métaux), et de sites sacrés.
À Avlékété, un guide touristique de profession craint la destruction d’une forêt considérée comme sacrée par les habitants du village.
« Cette forêt est là depuis le temps de nos aïeux et maintenant on va détruire tout ça. Si l’État peut revoir ça et laisser les forêts des divinités, cela serait une bonne chose. »
Comme consacre par l’article 10 de la Constitution béninoise, « L’État a le devoir de sauvegarder et de promouvoir les valeurs nationales de civilisation tant matérielles que spirituelles, ainsi que les traditions culturelles. »
UN DéDOMMAGEMENT INSUFFISANT ET DES SITES DE RELOGEMENT INADéQUATS
Les personnes souvent réinstallées plusieurs mois après leur expulsion vivent pour certaines dans des conditions précaires, le dédommagement reçu ayant été insuffisant pour leur permettre de construire un logement correspondant aux critères d’un logement convenable et les sites de réinstallations n’offrant pas toujours les services publics de base.
Chimène, 42 ans, dont le mari est décédé, a été réinstallée en septembre 2022 à Ahouandji. Elle a dû partager avec trois autres personnes – qu’elle connaissait auparavant mais qui ne font pas partie de sa famille – une parcelle et la somme de trois millions de francs CFA (environ 4 500€) remises par les autorités. Elle a construit à l’arrière de la parcelle une pièce unique en brique nue, sans porte. Elle a dû utiliser de l’argent personnel pour acheter suffisamment de briques et installer une fenêtre.
Chimène dort dans la pièce avec ses trois enfants, qui fréquentent l’école publique gratuite. Tous ont été déscolarisés pendant plusieurs mois pendant la période allant de leur expulsion de Fiyégnon 2 à leur réinstallation à Ahouandji. Elle s’inquiète désormais pour son fils actuellement en classe de CM2, qui pourrait être admissible au collège l’année prochaine. Or, le collège le plus proche se trouve Ouidah, à 20km d’Ahouandji.
L’accès à l’eau potable et à l’assainissement était également problématique dans les sites de relogement à Ahouandji et Djeffa.
Chimène Gaou et Yvette Aboudou, qui vivent sur la même parcelle à Ahouandji, n’ont accès ni à l’eau potable ou non potable, ni à l’assainissement à l’intérieur de leur logement respectif. Elles achètent de l’eau aux forages installés dans le quartier au prix de 50 francs CFA le bidon de25 litres, un prix trois fois plus élevé que le tarif officiel censé être appliqué. Les toilettes collectives du quartier n’étant pas encore fonctionnelles, les deux femmes sont contraintes de faire leur besoin dans la nature.
À Djeffa, un homme réinstallé a déclaré à : « On prend l’eau de puits pour le moment. Chacun construit son puits. L’alimentation en eau de la Société nationale des eaux du Bénin (SONEB) est déjà faite mais il n’y a pas encore les branchements. ». Des toilettes collectives ont été construites mais sont inutilisables pour le moment faute d’eau.
Toujours à Djeffa, « il y a des gens qui ne sont pas encore venus occuper leurs maisons ici car il n’y a pas d’électricité ici alors qu’à Xwlacodji il y avait du courant ».
Les autorités béninoises doivent s’assurer que les sites de réinstallation proposés aux personnes expulsées garantissent l’accès à l’eau potable, à l’assainissement, à l’électricité, à l’éducation et au travail.