20 ans du Protocole de Maputo. Lire la déclaration commune d’Amnesty international et ses partenaires.

À l’occasion du 20e anniversaire de l’adoption du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo), nous, organisations soussignées, saluons les progrès accomplis en faveur des droits des femmes et des filles sur le continent. Cet instrument juridique a établi un cadre exhaustif définissant les normes que les États sont tenus de respecter afin de faire progresser les droits des femmes et les protéger.

Nous espérions célébrer la ratification universelle du protocole de Maputo à l’occasion de cet anniversaire historique, mais nous n’avons pas encore atteint cette étape. La ratification par le Soudan du Sud en juin 2023 est louable et nous donne l’espoir que cet objectif ambitieux est à portée de main. Cela porte le nombre total de ratifications à 44 sur 55.

Nous exhortons les 11 États membres qui ne l’ont pas encore ratifié (Burundi, Botswana, Égypte, Érythrée, Madagascar, Maroc, Niger, République centrafricaine, Somalie, Soudan et Tchad) à respecter leur engagement à défendre les droits des femmes sur leur territoire respectif en ratifiant le protocole et en prenant toutes les mesures nécessaires afin de le transposer dans leur droit national et de le mettre en œuvre.

AVANCEES REALISEES DANS LE CADRE DU PROTOCOLE DE MAPUTO
Au cours des deux dernières décennies, le Protocole de Maputo a joué un rôle crucial dans la promotion des droits des femmes et dans l’accès à la justice en cas de violations des droits humains. S’appuyant sur le Protocole, des tribunaux du Kenya et de l’Ouganda ont rendu des décisions historiques affirmant la prohibition des mutilations génitales féminines (MGF). La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission africaine) a amené les garants des droits à rendre des comptes pour s’être abstenus d’ouvrir des enquêtes et des poursuites en relation avec les violences sexuelles et sexistes dont des femmes ont été victimes lors de manifestations violentes en Égypte. Dans une décision sans précédent rendue en mai 2018, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a estimé que le Mali avait bafoué plusieurs articles du Protocole sur l’âge minimum du mariage, l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le droit de consentir au mariage, le droit à l’héritage pour les femmes et pour les enfants nés hors mariage, et l’élimination des pratiques traditionnelles et culturelles néfastes.

S’inspirant des engagements énoncés dans le Protocole, 38 des 55 États africains ont adopté des lois et des politiques protégeant le droit des adolescentes à l’éducation pendant la grossesse et la maternité. Le Niger et le Togo ont abrogé des politiques qui interdisaient aux élèves enceintes et aux jeunes mères d’assister aux cours, en 2019 et 2022 respectivement. Une décision de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a confirmé le droit des jeunes filles enceintes à l’éducation en Sierra Leone, et l’article 6 du Protocole a été invoqué pour lutter contre les mariages forcés et les mariages d’enfants sur tout le continent.

DES EFFORTS SOUTENUS POUR LUTTER CONTRE DIFFERENTES FORMES DE VIOLENCE FONDEES SUR LE GENRE RESTENT NECESSAIRES
Ces succès nous rappellent également qu’il reste un long chemin à parcourir pour construire des nations cohésives et inclusives qui respectent les droits des femmes. Les femmes restent confrontées à d’énormes difficultés, notamment les inégalités économiques, le manque d’accès à la terre et à des ressources financières, diverses formes de violence fondée sur le genre, et des obstacles à l’accès à l’éducation et à des soins de santé complets, notamment des soins de santé sexuelle et reproductive.

Des conflits armés continuent à dévaster le tissu social, avec un impact particulièrement inquiétant sur les femmes et les filles qui restent affectées de manière disproportionnée par les violences sexuelles et sexistes, comme cela a par exemple été le cas lors des conflits dans le nord de l’Éthiopie et au Soudan. L’exploitation sexuelle, le mariage forcé, le mariage d’enfants, les mutilations génitales féminines, les violences et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles, perçues ou réelles, restent malheureusement la réalité de nombreuses femmes et filles.

Les États doivent adopter et mettre en œuvre des stratégies globales, y compris des réformes juridiques et des mécanismes d’obligation de rendre des comptes, des campagnes de sensibilisation, ainsi qu’une éducation sexuelle complète, afin d‘aider les prestataires de santé à répondre aux besoins des victimes de violences fondées sur le genre. Nous appelons les États membres à adopter d’urgence des approches qui accordent la priorité aux besoins des victimes de violences sexuelles et qui privilégient leur capacité d’action. Les démarches centrées sur les victimes sont essentielles afin de briser le cycle du silence et de la stigmatisation entourant la violence sexuelle, et de favoriser la guérison, la justice et l’autonomisation à long terme des victimes.

L’EGALITE DES GENRES REQUIERT DES POLITIQUES ECONOMIQUES ET DES INVESTISSEMENTS TRANSFORMATEURS
En dépit d’avancées considérables sur le terrain des droits des femmes ces deux dernières décennies, la lutte pour la
concrétisation des droits économiques des femmes continue en Afrique. L’inégalité salariale reste généralisée. En Afrique
subsaharienne, l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes est de 30 %, et seulement 3,9 % des femmes sont couvertes par des mesures de protection sociale. De nombreuses femmes ont un accès limité au crédit et aux ressources financières, et sont confrontées à des obstacles systémiques à la création d’entreprise (notamment la criminalisation du secteur informel) et à l’accès aux postes de direction. Les femmes supportent en outre de manière disproportionnée la charge du travail de soin non rémunéré, ce qui les empêche de participer pleinement à l’économie formelle.

Pour parvenir à une véritable égalité entre les sexes, les gouvernements doivent prendre des mesures concrètes afin d’éradiquer les pratiques discriminatoires et investir dans des environnements propices au renforcement du pouvoir économique des femmes. Il faut notamment mettre en œuvre des politiques favorisant l’égalité salariale, assurer l’accès à des services de garde d’enfants abordables, garantir les droits fonciers et de propriété des femmes, et encourager des environnements commerciaux inclusifs qui favorisent l’esprit d’entreprise formel et informel des femmes.

LE PROTOCOLE DE MAPUTO A 20 ANS. LES ÉTATS DOIVENT LEVER LEURS RESERVES ET METTRE CET INSTRUMENT EN ŒUVRE POUR QUE LES POPULATIONS EN BENEFICIENT PLEINEMENT
La résistance et les réserves de certains États à l’égard de dispositions cruciales du Protocole de Maputo sur la santé et les droits reproductifs (article 14) et le mariage (article 6) ont un impact négatif sur les droits des femmes et des filles à l’autonomie corporelle et empêchent la pleine mise en œuvre du Protocole. La Commission africaine a réaffirmé les droits des femmes d’être maîtresses des décisions relatives à leur sexualité, notamment la santé sexuelle et reproductive, et de ne pas subir de coercition, de discrimination ni de violence dans son Observation générale n° 2 sur l’article 14.1 (a), (b), (c) et (f) et l’article 14. 2 (a) et (c).
Le Rwanda et la Gambie ont montré l’exemple en levant leurs réserves relatives au Protocole. Nous appelons tous les États à faire de même afin de garantir que les droits et la justice en matière de sexualité et de procréation bénéficient à toutes et tous.
À l’occasion de ce 20e anniversaire, nous réaffirmons notre détermination inébranlable à travailler avec les États et la société civile pour faire avancer et protéger la justice de genre en Afrique. En menant une action commune, et en faisant preuve de compassion et de détermination, nous veillerons à ce que la promesse de l’égalité des genres devienne une réalité pour toutes les femmes et les filles de ce continent.
Nous exhortons de nouveau :
Le Botswana, le Burundi, l’Égypte, l’Érythrée, Madagascar, le Maroc, le Niger, la République centrafricaine, la Somalie, le Soudan et le Tchad à ratifier le Protocole de Maputo et à l’intégrer à leur législation, sans délai.
L’Afrique du Sud, le Cameroun, l’Éthiopie, le Kenya, Maurice, la Namibie et l’Ouganda à lever leurs réserves concernant le Protocole de Maputo et à permettre à leurs habitant·e·s de profiter pleinement de ses avantages.
• Tous les États membres à :
Investir afin de répondre aux besoins des victimes, en particulier les victimes de violences sexuelles ;
Mettre en œuvre des politiques en faveur de l’égalité salariale, de l’accès à des services de garde d’enfants
abordables, des droits fonciers et de propriété des femmes, et d’environnements commerciaux inclusifs pour
l’entrepreneuriat formel et informel des femmes ;
Mettre en œuvre des politiques qui renforcent le droit des femmes de décider librement des questions liées à leur sexualité, et veiller à ce que toutes puissent exercer leurs droits sexuels et reproductifs.


Signataires

  1. Amnesty International
  2. Equality Now
  3. FIGO – International Federation of Gynecology and Obstetric
  4. SOAWR – Solidarity for African Women’s Rights